Tableau de Paris/457

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CHAPITRE CCCCLVII.

Peintres en Portraits.


Ils sont les plus occupés ; car l’amour-propre le veut ainsi. Après s’être regardé au miroir, on veut se voir sur la toile. Qui se voit même au miroir tel qu’il est ? qui ne s’embellit pas dans un coup-d’œil particulier à lui-même ? La physionomie du sot n’est pas sotte à ses propres yeux. Il pourra faire l’aveu de sa sottise ; jamais il ne dira, j’ai les yeux bêtes. Ils peignent en miniature, en émail ; ils prodiguent toujours des coups de graces en faveur des femmes ; les hommes même aiment à être flattés.

Les femmes se font peindre fréquemment ; elles vont chez leurs peintres ; & l’épouse de l’artiste qui sait vivre, sait qui doit se trouver là pour donner des conseils & diriger le pinceau qui éternisera la beauté. Quand l’œil du peintre ne peut pas tout détailler, il faut un appréciateur. Il ne manque jamais de donner son avis ; parce que le vrai jour de la beauté, dit-il, dépend encore de l’œil qui sait l’apprécier.

Le peintre avoue qu’il n’a pas le coup-d’œil aussi fin que l’appréciateur ; il adopte toutes ses remarques avec une attentive complaisance. Telle femme est trois mois à se faire peindre. Mais on aime tellement les beaux-arts, qu’on ne peut se détacher de l’attelier où brille le savant pinceau. D’ailleurs les appartemens voisins sont meublés avec un goût & un art infini ; aucun dégagement n’y manque. L’appréciateur entre & sort à propos. Le peintre est homme d’esprit encore, & sa femme est charmante. Le moyen qu’une femme qui aime la peinture à la folie, ne prolonge, ne multiplie les séances, jusqu’à ce que le portrait soit assez ressemblant, pour qu’il puisse être offert à son époux. Oh, que sa physionomie doit être animée & satisfaite !

Une femme en faisant ce don s’écria avec une naïveté très-remarquable : En vérité, mon cher, ce n’est point la copie que je vous donne.

Pour le commun bourgeois, il fait venir le peintre chez lui ; il appelle le premier qu’on lui enseigne. Il ne manque pas d’être présent, lorsque le pinceau vulgaire défigure sa femme à bon marche : il lui sourit niaisement pour mettre en jeu toutes ses graces. La femme minaude, & le peintre la fait plus laide & plus grimaciere qu’elle ne l’est réellement.

Le portrait achevé, le mari prend la place de sa femme à sa recommandation, & fait peindre son large visage avec sa plus belle perruque. Cette rare figure doit orner un brasselet que sa femme portera toute sa vie. Rien de plus mal peint ; la gaucherie du pinceau surpasse encore celle de l’époux. Les deux portraits manqués, quoiqu’ils ne soient pas exempts de ressemblance, n’en seront pas moins offerts à l’admiration de toute la famille & de tous ceux qui fréquentent la maison ; & ces burlesques effigies feront l’époque du plus haut degré de l’affection maritale. Le peintre est quelquefois témoin du transport que son ouvrage excite, & il s’en applaudit : on mouille de larmes sa peinture chargée & enluminée, que le couple attendri baise & prend pour un chef-d’œuvre. La femme grimace sur la boëte du mari, & le mari fait la moue sur le riche brasselet de sa femme. Il est des instans dans le ménage où la ressemblance devient exacte.

Une foule de barbouilleurs vivent de leurs pinceaux ignares, mais qui sont assortis à une classe nombreuse ; ils peignent comme certains perruquiers coëffent. Mais tout cela passe, & la tête mal peinte & mal coëffée n’en sera pas moins transmise aux générations futures ; car chez la bourgeoise le mauvais pinceau peut encore prétendre aux honneurs de l’immortalité.