Tableau de Paris/458

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CHAPITRE CCCCLVIII.

Joueurs d’instrumens.


Louis XIII eut toutes les peines du monde à composer un médiocre orchestre. Un violon étoit alors un être rare. Il ne faisoit pas néanmoins aller une symphonie à coups de nerf de bœuf, ainsi que le pratiquoit le czar Pierre : mais celui qui battoit la mesure, avertissoit tous les symphonistes de l’arrivée de l’ut. Aujourd’hui les musiciens sont par-tout. Des chanteurs & des cantatrices montés sur des tréteaux, chantent dans les cafés des ariettes burlesques, & des airs de l’opéra-comique ; on y exécute facilement de bonnes symphonies. Un garçon tailleur, en prenant son verre de liqueur, y jouit d’un concert que n’ont point eu soixante rois de France.

Les talens pour la musique sont devenus si communs, que la même main qui tient l’archet vous tend une tasse suppliante ; on y jette quelques pieces de monnoie ; la cantatrice, après avoir prodigué les charmes de sa voix, devient quêteuse ; l’art est un peu avili par ces quêtes publiques ; c’est que nos yeux n’y étoient pas encore accoutumés : il n’est pas juste néanmoins qu’on vous donne un joli concert pour rien ; tout se paie à Paris, jusqu’au son qui s’envole des instrumens.

Tel oisif auditeur en profite ; il n’a pas le sol dans sa poche, & il s’assied dans ce café, s’y chauffe, entend de la musique toute l’après-dînée, & ne sort de cet asyle qu’à onze heures du soir, quand le garçon l’avertit qu’on n’y couche point. Jamais le maître de ces maisons vitrées ne lui reprochera d’y venir occuper une place éternellement gratuite : il sera toute l’année régalé de musique & chauffé, sans rien débourser ; son oreille jouira plus que son estomac, & la symphonie lui tiendra lieu de souper. Tout cafetier des boulevards fait un don gratuit de son poële, de ses chaises & de son orchestre à une infinité de gens qui, soit paresse, soit désœuvrement, végetent dans une oisiveté absolue.

L’habitude confirme encore cette vie inactive, & l’on voit distinctement, en parcourant les cafés, combien il y a d’hommes qui ont le travail en horreur, & pour qui les jours sont d’une longueur assommante. Ils semblent tous, dans cette inertie, préluder au calme du trépas, & chérir le repos encore plus que la vie. Quand ils expirent, ces gens-là ne semblent pas mourir, mais cesser seulement d’aller au café.