Tableau de Paris/459

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CHAPITRE CCCCLIX.

Curés.


Ils ont une réputation de probité qui, en général, est bien fondée. Ils sont toujours plus éclairés & moins fanatiques que les prêtres qu’ils ont sous leurs ordres. Leur ambition est à peu près satisfaite par la place inamovible qu’ils ont obtenue ; conséquemment ils deviennent calmes & modérés. On peut les considérer, chacun dans leur paroisse, comme de petits évêques, sur-tout quand elles sont considérables.

Mais il y a une très-grande inégalité, & dans l’étendue, & dans la rétribution. Le vaste fauxbourg Saint-Antoine n’a qu’une paroisse, ainsi que le fauxbourg Saint-Germain ; & dans la Cité, quatre ou cinq paroisses sont adossées l’une à l’autre, & telle maison appartient à deux patrons différens.

Le clergé des grandes paroisses me paroît trop nombreux ; c’est un régiment en surplis. Que font tous ces prêtres ? Ils portent des cierges aux convois ; ils figurent dans les grand-messes ; ils alongent les processions. Il y a trop de prêtres pour ces cérémonies, d’ailleurs superflues, ainsi qu’il y a trop de commis dans les bureaux. On pourroit réduire au quart le clergé de ces paroisses ; mais comme il forme une espece de cour auprès du pasteur, & que celui-ci est flatté de se voir environné de cette milice sacerdotale, il ne sera jamais d’avis qu’on la diminue.

Tous ces prêtres habitués vivent comme des séculiers. Ils habitent des maisons bourgeoises peuplées de femmes & de filles ; ils les confessent, les disposent à la premiere communion, à la confirmation. Ils se glissent dans les sociétés, & point de maison qui ne voie le soir le prêtre de paroisse faire sa partie de quadrille avec ceux qui ont entendu sa messe le matin.

Le curé sait une infinité de choses secretes par le moyen de ses prêtres courtisans, qui ont toujours l’œil ouvert & l’oreille attentive, pour servir les intérêts de l’église.

Les aumônes que la charité répand sur l’indigence, passent ordinairement par leurs mains, & leur présence est un signal de joie pour les malheureux.

Sur les grandes paroisses, c’est un prêtre subalterne qui est chargé de ces fonctions augustes ; mais il ne s’en acquitte point avec la douceur, la compassion & la grace qu’y mettroit le pasteur lui-même.

Depuis l’affaire du refus de sacremens, maintenant à peu près assoupie, les curés de Paris se sont comportés avec beaucoup de prudence & de circonspection.

Comme toutes les cures sont à la nomination de l’archevêque, jugez de l’empire que celui-ci a sur tous les vicaires, sous-vicaires, &c. Ils feignent d’adopter ses sentimens ; ils s’agitent, ils postulent ; ils intriguent charitablement ; c’est à qui viendra révéler un fait mystérieux. Une fois nommé, le curé affermi dans sa place qui ne peut lui être ôtée, reprend son avis & barre celui de l’archevêque tant qu’il lui plaît.

Un curé nommé Chapeau, tenant la place inamovible, tourna subitement casaque à feu Christophe de Beaumont, qui l’avoir regardé comme son bras droit ; ce qui fit dire aux plaisans, que l’archevêque avoit perdu son chapeau. Feu Christophe de Beaumont n’admettoit point à sa table les curés de Paris, afin d’établir entr’eux & lui une certaine distance.

Un homme vertueux peut faire beaucoup de bien dans cette place quand il le veut, & plusieurs veulent le bien ; ils n’ont qu’à demander avec persévérance, & ils obtiennent. Languet, curé de Saint-Sulpice, obtint des sommes considérables & sans peine, pour la construction de son église. Il supplioit & personne n’osoit le refuser.

Dans un siecle où l’on a secoué le joug de plusieurs pratiques religieuses, ils doivent être plus embarrassés que ne l’étoient leurs devanciers ; ils ont besoin de beaucoup plus d’art pour ménager les esprits. Il se trouve des cas difficiles, où il faut savoir passer à côté de l’incrédule sans le heurter & sans choquer la dévotion des ames foibles.

Ils dissimulent leur mécontentement, & se renferment dans un silence prudent. Ils sont même les premiers à étouffer les scandales, au lieu d’en poursuivre la punition. Aussi tranquilles qu’ils étoient turbulens du tems de la ligue, ils ont adopté des idées de paix : la douceur caractérise leurs actions, & l’amertume n’est plus sur leurs levres. Ils n’ont pas la hauteur des évêques ; & plus populaires, ils savent à la fois consoler & secourir leurs paroissiens. Ils versent le baume sur plusieurs plaies secretes qu’eux seuls connoissent. Ils tolerent des abus qu’ils ne peuvent plus empêcher, & entrent dans les idées de la police, parce qu’ils sentent que les préceptes religieux ne peuvent pas s’opposer à la tolérance civile.

La concorde n’est jamais parfaite entre le curé & les marguilliers ; la fabrique le contredit toujours un peu ; mais cette discorde intestine entretient les droits respectifs, & empêche que le curé & son clergé ne prennent une trop grande prépondérance, dont plusieurs parties de l’administration auroient peut-être à souffrir.