Tableau de Paris/461

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CHAPITRE CCCCLXI.

Le Diacre Pâris.


Pendant son vivant il ne se douta guere du genre de célébrité qu’il obtiendroit après sa mort. Le parti des Jansénistes voulut à toute force en faire un saint, & ils allerent en foule grimacer & convulsionner sur son tombeau. L’enthousiasme communiqué au peuple auroit eu des suites, sans l’aurore de la philosophie qui dissipa ces extravagances, ridiculisa les novateurs & le thaumaturge, & servit le gouvernement assez inquiet sur cette épidémie morale. Les esprits échauffés, avec les noms de religion & de miracle, auroient pu aller loin, tant le délire devenoit universel. Une princesse douairiere que l’âge avoit rendue aveugle, acheta pour mille écus les vieilles culottes du diacre, pour s’en frotter les yeux ; mais il y eut quelque chose de plus étonnant encore ; ce fut un gros livre in-4, avec figures, contenant le recueil des miracles prétendus de l’abbé Pâris. Ce livre d’un M. de Mongeron, est excellent en son espece ; c’est-à-dire, pour humilier l’esprit humain, & l’avertir des écarts dans lesquels il est toujours prêt à tomber.

Les mêmes enthousiastes ont continué leurs convulsions clandestinement ; ils ont eu recours à des prestiges fort étonnans il faut l’avouer, & si la raison n’étoit pas toujours au-dessus du rapport trompeur des sens, on seroit tenté de croire qu’il y avoit quelque chose de surnaturel dans ces épreuves ; mais ces épreuves avoient un caractere bizarre : recevoir des coups de bûche, des coups d’épée, rôtir à la broche, se pendre en croix, c’étoit ainsi que ces illuminés annonçoient leur mission. Plusieurs crurent, ne pouvant combattre ce qu’ils avoient vu : mais quelle secte n’a pas eu ses prodiges ou prestiges fondés sur des secrets particuliers, ou sur la force extrême de l’imagination ?

Pascal eût-il deviné que la secte dont il avoit embrassé les idées, finiroit par donner un spectacle de convulsionnaires ? Mais, si je ne me trompe, il avoit un peu de leur physionomie.

Pascal étoit un bon écrivain, précis & nerveux ; il avoit du génie pour les mathématiques : mais c’étoit d’ailleurs un de ces foux sérieux, un de ces maniaques qui poussent leurs raisonnemens à l’extrême. Il se félicitoit d’être malade, parce qu’il connoissoit, disoit-il, les dangers de la santé, & parce que la maladie étoit l’état naturel d’un chrétien ; & qu’on étoit là, comme on devroit toujours être, exempt de toutes les passions qui travaillent l’homme qui se porte bien. Il avoit un soin très-grand (dans la vue de renoncer à tous plaisirs) de ne point goûter ce qu’il mangeoit. Il portoit une ceinture de fer, pleine de pointes ; & quand il prenoit quelque plaisir à la conversation, alors il pressoit sa ceinture & redoubloit la violence des piquures, afin de détourner son ame de ce qui pouvoit lui être agréable. Il se mettoit dans une grande colere quand on lui disoit qu’on avoit rencontré une belle femme : ce seul mot faisoit pécher, disoit-il. Jamais, par humilité, il n’a prononcé, j’ai dit, j’ai fait. Il affectoit que résister à l’ordre du roi (quel qu’il fût) c’étoit résister visiblement à l’ordre de Dieu, & que la puissance du monarque étoit une participation de la puissance divine. Pour cette derniere extravagance, elle étoit plus que bizarre. Il n’avoit nulle attache pour ceux qu’il aimoit, parce qu’un cœur ne devoit être qu’à Dieul seul, & que c’étoit lui faire un larcin que de montrer quelqu’attachement pour autrui : par conséquent, il ne vouloit point qu’on l’aimât. Après de telles idées, il n’est pas étonnant qu’il apperçût un abyme à ses côtés. Ainsi, la folie touche au génie : une tension trop forte dans quelques fibres du cerveau brouille les images, & les raisonnemens s’en ressentent ; ils deviennent des objets de dérision pour une tête bien moins pénétrante, mais aussi beaucoup plus saine.