Tableau de Paris/479

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CHAPITRE CCCCLXXIX.

Chaise-à-Porteur.


Porter quelqu’un dans les rues fangeuses & embarrassées de la capitale, n’est pas chose facile. Aussi les chaises ne peuvent-elles circuler que le matin & dans quelques quartiers paisibles. Les douairieres vont ainsi à la messe, & le laquais suit portant les heures dans un sac de velours rouge brodé. La vieille présidente veut qu’on remarque le sac sur lequel elle s’agenouillera, pour demander pardon à Dieu, des petits péchés de sa jeunesse. Ailleurs les chevaux disputent le pas à l’homme.

Deux robustes mercenaires, tout en sueur & s’arcboutant sur leurs larges souliers ferrés, portent l’homme que l’embonpoint & la goutte empêchent de marcher. Au détour d’une rue, ils se trouvent au milieu d’un troupeau de bœufs effarés & menaçans. Une corne saisit le brancard & renverse la boëte : le gros individu qui l’emplit de sa rotondité, reste là jusqu’à ce que le troupeau ait défilé. Les têtes de bœufs en passant le saluent à la portiere ; il se rencogne : jamais corne ne l’a tant effrayé ; il faut retourner la boëte pour lui ouvrir la porte. La colere que cet accident lui cause, a gonflé ses veines ; on a peine à le dégager. Il veut battre avec sa canne les porteurs qui se sont déjà sauvés ; & dans sa fureur, il ne s’apperçoit pas qu’il a perdu sa perruque.

La brouette qui a deux roues tombe rarement sur le côté ; mais aussi quand elle se renverse les brancards en-haut, & qu’une demoiselle parée, ajustée se trouve dans cette voiture, jugez de l’attitude ! Elle est obligée, en conscience, de se pâmer pour voiler son désordre, & ne point entendre ce que disent les spectateurs.