Tableau de Paris/483

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CHAPITRE CCCCLXXXIII.

Placards.


Autrefois il étoit assez ordinaire de trouver quelques placards critiques sur les affaires du jour. On a mis tant de surveillance dans la poursuite des afficheurs, que cet usage est devenu impraticable. Paris n’a point la statue mutilée de Rome où l’on attache des pasquinades. Le railleur le plus déterminé sent expirer ses bons-mots, lorsqu’il s’agit d’avoir un débat avec la police, qui emprisonne ou qui exile avec un petit avertissement. Les bons-mots & les satyres circulent de bouche en bouche, se copient même, mais ne s’affichent plus.

Dans le tems que la police étoit moins vigilante ou moins étendue, voici l’expédient dont on s’étoit servi pour apposer les placards au coin des rues.

Un homme chargé d’une grande hotte, en la reposant s’arrêtoit sur une borne, contre laquelle il restoit appuyé, la hotte toujours sur le dos & l’air fatigué. Pendant ce tems, un petit garçon, accroupi dans le fond de la hotte, n’avoit qu’à passer les deux mains pour plaquer contre la muraille l’affiche enduite de colle. Il étoit masqué par les deux rebords. Il se refonçoit bien vîte en se voilant la tête ; & l’homme de partir à pas lents, laissant l’écrit à la vue des curieux.

Les caricatures de ce genre ne s’appliquent plus aux murailles ; elles ont passé dans des brochures subtilement distribuées.

Mais un placard aujourd’hui ne signifieroit rien pour le peuple, occupé de ses besoins pressans & de sa subsistance journaliere : il est étranger à tout ce qui se fait ; il a perdu depuis long-tems le fil des événemens publics ; il ne sait plus qui mene les affaires ; il ne s’en embarrasse point. Que lui importe qui tient le gouvernail ? Le sillage du vaisseau est toujours le même pour lui. Enfin il n’a plus envie de rire.

On trouve de tems en tems quelqu’emblême relatif à l’administration de la police, qui n’est point parfaite. Le chef en homme d’esprit ne fait qu’en rire. Eh ! qu’importent à l’adroit écuyer les hennissemens de son coursier morigéné par son frein, dès qu’il peut, à l’aide d’une légere houssine, régler tous ses mouvemens.

Plus de traits satyriques que dans les brochures ; le beau monde s’en amuse, sans trop y ajouter foi ; mais l’épigramme vraie ou fausse arrive ordinairement une année révolue après la sottise. Or l’épigramme est comme la correction des colleges, quand elle est tardive elle est moins efficace.

Ces petites vengeances contre les hommes en place ne troublent plus leur tranquillité ; ils acheveront leur paisible carriere sans être molestés dans leurs fonctions. L’histoire ne les saisira qu’à leur mort ; & ils n’auront pas entendu de leur vivant, dans le cri de la licence, l’accent de la vérité, qu’on y démêle toujours, parce qu’il y est ordinairement caché.

Cependant les pauvres auteurs ne peuvent faire une faute que trente critiques ne les aboient ; souvent même on leur dit des injures lorsqu’ils ont bien fait. Le gouvernement protégera ces petites feuilles satyriques qui ne nuisent qu’à la réputation & à la fortune des écrivains ; mais en récompense l’ouvrage politique de tout homme en place n’admettra ni examen ni réprimande. Oh ! c’est un beau droit.

Les papes ont laissé Pasquin & Marforio parler & se répondre. Des railleries, des lardons amusent le peuple & l’assouplissent. Ne vaut-il pas mieux encore que la satyre soit dans la bouche de la statue, que de rester concentrée dans le cœur où elle fermente & s’aigrit ? La mauvaise humeur d’un peuple s’évapore ainsi, & jamais le bras ne se leve, quand la langue a pu se soulager pleinement.