Tableau de Paris/484

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CHAPITRE CCCCLXXXIV.

Afficheurs.


Ils sont quarante, ainsi qu’à l’académie françoise ; & pour une plus grande similitude, aucun afficheur ne peut être reçu s’il ne sait lire & écrire. On dispense l’afficheur de tout autre talent, ainsi qu’il arrive quelquefois dans l’illustre compagnie créée par le ministre despotique & versificateur.

Ils ont à leur boutonniere une plaque de corne ; ils portent une petite échelle, un tablier, un pot à colle & une brosse. Ils affichent ; mais ils ne s’affichent point. Les quarante immortels n’ont pas toujours cette sage modestie.

Un afficheur est l’emblême de l’indifférence. Il affiche d’un visage égal le sacré, le profane, le juridique, l’arrêt de mort, le chien perdu ; il ne lit jamais de ce qu’il plaque contre les murailles que la permission du magistrat. Dès qu’il voit ce nom, il afficheroit sa propre sentence.

Tel qui a affiché la comédie & l’opéra pendant trente ans, n’y a jamais mis le pied. Quand ils ont mis la lettre du côté de la rue, & qu’elle est bien droite, ils la contemplent d’un air de satisfaction & s’en vont.

Il leur est défendu de mettre aux portes & sur les murs des églises & monasteres, des affiches de comédies, romans & livres profanes ; mais le titre est quelquefois équivoque, & les colonnes des temples sont tolérantes ; elles reçoivent paisiblement ce que l’afficheur leur applique.

Il n’est pas prudent de lire une affiche, haute ou basse, au coin d’une borne ; c’est un appât qui a son péril. Plus d’un lecteur est obligé d’interrompre précipitamment sa lecture, & de se sauver au milieu d’une phrase instructive : ce qui nuit à la réflexion qu’on doit à toute lecture, même à celle des affiches.

On se croit quelquefois en sûreté derriere une borne. Là on semble braver le danger & lire en paix ; mais la plupart des bornes ont été creusées par le petit essieu à sa hauteur. Tandis que vous vous instruisez, il passe par le creux formé, & vous emporte le gras de la jambe.