Tableau de Paris/487

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CHAPITRE CCCCLXXXVII.

Jardin du Palais-Royal.


Philippe d’Orléans, régent de France, habita ce palais. Il y gouverna le royaume avec les principes les plus hardis, méprisant beaucoup les hommes & les jugeant tous aussi faux, aussi bas, aussi cupides que ceux dont il étoit environné. Il sembloit indigne à son génie de gouverner cette masse d’individus dont il se jouoit avec la supériorité de son caractere.

Les principes de son administration, qui succéderent à ceux de Louis XIV, forment pour l’histoire une couleur bien tranchante. La nation Françoise qui se plie à tout, fut modifiée en un seul instant.

Cette époque infiniment curieuse a déterminé nos mœurs actuelles, & pour un tems qui paroît devoir être considérable. Si la base de la morale est à demi-renversée, la régence a occasionné ce changement rapide dont l’influence n’est pas encore à son terme.

On se rassemble à midi au cadran du Palais-Royal. Des désœuvrés, montre en main, mettent l’aiguille sur onze heures soixante minutes, & s’en vantent toute la journée.

Au Caveau, d’autres désœuvrés agitent ces questions oiseuses & littéraires, mille fois rebattues, & dont la génération timide de nos jeunes auteurs ne paroît pas vouloir encore sortir.

Quand le duc de Chartres voulut convertir son jardin en bâtimens, chacun cria comme s’il eût été propriétaire du lieu. Malgré le public qui regardoit cette promenade comme une jouissance acquise, malgré ses vives clameurs, le duc fit tomber sous la coignée ces arbres qui, sous leurs ombrages, avoient vu les marchés clandestins des filles d’opéra. Jamais les Hamadryades (si elles sont chastes) n’eurent plus à rougir que dans cette fameuse allée. Mais on pouvoit la regarder comme la plus belle salle de bal qui fût en Europe. Elle fut détruite en peu d’heures.

Quand le public eut bien crié, & qu’il vit les arbres à bas, il se tut. Il paroît d’après le plan adopté par le prince, que les Parisiens dans quelques années y auront gagné (ce qui accusera leur précipitation ordinaire) que cet endroit réunira le brillant, le commode ; que métamorphosé au gré du propriétaire, il offrira pour les agrémens une promenade supérieure à la précédente.

Ô Parisiens, toujours ignares & fortement ennemis des moindres modifications, songez donc que votre ville nageroit dans un cloaque, sans la main qui a rompu vos maussades habitudes ! Laissez les puissans en monnoie modifier votre habitation. Qui l’a fait ce qu’elle est ? Eux seuls. Taisez-vous, plats bourgeois, & laissez les princes vous construire des monumens agréables. Voyez autour de vous, tous sont de leur création. Promenez-vous un peu plus loin, importans nouvellistes, & attendez le don magnifique & riant que votre lourde & ingrate cervelle ne peut pas même appercevoir en idée.

Si vous voulez voir de beaux tableaux, visitez la galerie du Palais-Royal ; si vous voulez voir de jolies femmes dans le costume le plus élégant & le plus nouveau, placez-vous au passage du grand escalier ; si vous voulez manger de bonnes glaces, allez au caveau ; mais si vous voulez avoir les nouveautés piquantes, ne vous adressez pas aux libraires du lieu.