Tableau de Paris/492

La bibliothèque libre.

CHAPITRE CCCCXCII.

Femmes-de-Chambre.


Une femme qui sert une autre femme, a besoin de bien plus d’art & de souplesse qu’il n’en faut à un homme dans la même condition. Point de milieu ; les femmes-de-chambre sont dans la plus grande intimité, ou dans la dépendance la plus humiliante.

Que d’adresse il faut à une femme-de-chambre pour faire valoir, embellir les charmes de sa maîtresse ! Il faut la rendre jolie, ou du moins lui persuader qu’elle a des graces infinies. Chaque matin la maîtresse la questionne sur son visage. Elle doit avoir une réponse prête, aller au-devant du caprice, corriger la mauvaise humeur, tromper l’amour-propre, enfin avoir l’air de la sincérité.

On la gronde facilement ; mais il lui est permis de montrer un peu de dépit. Le triomphe de la maîtresse ne seroit pas complet, si la femme-de-chambre étoit impassible.

Rien de plus curieux que le dialogue qui s’établit quelquefois à la toilette : c’est un mélange de hauteur, de familiarité, de confiance, de mépris qui a quelque chose d’indéfinissable.

La femme-de-chambre connoît mieux sa maîtresse que le laquais ne connoît son maître. Aussi nombre de secrets particuliers ont été révélés par des femmes-de-chambre : c’est une bonne fortune quand on peut les enlever à ses amies, ou du moins à ses connoissances.

La femme-de-chambre ne déroge pas, ainsi que le laquais, parce que la fille qui embrasse cet état paroît l’avoir préféré à la perte de sa vertu.

Elles composent le cinquieme de l’ordre domestique. Quand leurs maîtresses sont jeunes & belles, elles sont assez dédaignées, & il ne leur appartient pas d’être jolies. Mais à mesure que les femmes avancent en âge, la société d’une femme-de-chambre leur devient plus nécessaire. Les vieilles qui desirent toujours qu’on les trompe un peu, s’accommodent assez de leur langage flatteur, & l’habitude donnant du poids à la liaison, elle ne peut plus enfin se rompre.

Les femmes-de-chambre en général n’ont pas les vices inhérens aux laquais. Elles prennent les manieres des femmes qu’elles servent ; & quand elles se marient ensuite à de petits bourgeois, elles ont un air & un maintien qui en imposent à cette classe, & qui devant un œil peu exercé les feroit prendre véritablement pour avoir vu le monde.

Elles se mettent pour l’ordinaire avec goût. Dans celles qui sont méchantes, l’envie, la jalousie, la médisance, le mensonge, la fausseté, la flatterie, l’hypocrisie percent plus difficilement que chez les valets. Ceux-ci sont toujours taciturnes, & leurs vices parlent hautement. Les femmes-de-chambre sont fréquemment interrogées, & leurs vices sont voilés.

Les soubrettes de notre comédie ont encore des nuances qui appartiennent à leur état ; mais les valets ne se voient plus comme on les met sur la scene. On distingue la femme-de-chambre qui est chez la duchesse : ses façons sont plus aisées & plus nobles. Celle qui est chez la présidente a contracté quelque chose de la morgue de la maison ; elle met de la précision dans tout ce qu’elle dit & ce qu’elle fait. Celle qui est chez la financiere, parle des plus grosses sommes comme d’un rien, raconte les dépenses que l’on fait à l’hôtel, & qui ne se font pas ailleurs.

Quelques femmes-de-chambre, au bout d’un certain tems, copient admirablement leur maîtresse ; & quelques-unes qui sont bonnes, s’attendrissent réellement sur leur sort, parce qu’elles voient de près les tourmens que l’envie de briller & les caprices de l’imagination leur font subir chaque jour.

Si la maîtresse traite sa femme-de-chambre avec indifférence, la paix est entre les deux époux ; mais si une sorte d’amitié naît entre elles, & que la ligue s’établisse, le mari ne pourra jamais deviner d’où part la discorde qui trouble sa maison.

Les femmes-de-chambre ne parlent pas précisément comme les poëtes les font parler sur la scene ; mais elles agissent avec dextérité dans plusieurs occasions, & elles ont encore sur les caracteres une certaine influence que les valets ont perdue il y a long-tems.

Une femme de qualité dit : où sont mes femmes ? & ne dit jamais, mes femmes-de-chambre ; expression réservée à la bourgeoise.

Depuis que le luxe a placé quatre à cinq domestiques, enchaînés à la courroie derriere un carrosse ; depuis que l’on a tenu ainsi quatre hommes serrés l’un contre l’autre, sautillans sur la pointe des pieds, obligés de monter & de descendre lorsque la voiture est en mouvement, & de s’élancer avec célérité au risque de se rompre les jambes, les femmes à leur toilette ont tenu debout trois à quatre femmes uniquement occupées à offrir la boîte à poudre, les épingles, la pâte d’amande, tandis que le coëffeur arrange les cheveux.

Ce vol d’individus, fait aux campagnes, à l’agriculture, n’a pas même été frappé parmi nous d’un impôt propre à punir cet égoïsme révoltant. Et tandis que le galon d’or & d’argent entre dans la livrée de la servitude, le sarrau de toile couvre à peine le laboureur & le vigneron. La classe travaillante voit les valets en habit de drap galonné, & les femmes de chambre en robe de soie, même avec quelques petits diamans. Cette malheureuse classe commence à s’estimer elle-même fort au-dessous de l’ordre domestique.