Tableau de Paris/500

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CHAPITRE D.

Les accords.


Le pinceau satyrique de Hogarth, peintre Anglois, a représenté le seigneur ruiné épousant la riche bourgeoise. Greuze a fait un tableau dont le sujet est l’accordée de village ; mais il a peint d’honnêtes gens de la campagne, simples dans leurs mœurs, & dont les passions n’alterent ni les traits du visage ni le caractere.

Un tableau différent & plus moral seroit celui qui offriroit les accords dans la classe que j’ai sous les yeux. Voyez la figure du futur époux, lorsqu’il traite les articles qu’il a fait soigneusement stipuler d’avance. À travers l’air passionné qu’il s’efforce de prendre, remarquez le coup-d’œil qui s’échappe sur la dot ! L’accordée, de son côté, lorgnant d’une maniere imperceptible ces sacs accumulés, n’a-t-elle pas l’air de dire : j’aurai soin que cet argent se métamorphose en plaisirs & serve sur-tout à mes jouissances particulieres ?

Ce n’est plus d’un lien qui doit décider du bonheur de la vie qu’il est question ici ; c’est d’un arrangement entre deux familles, où chacune croit trouver de l’avantage. Voyez le pere, la mere, les parens. S’ils sont tous peints d’après nature, on appercevra des physionomies contraintes, avides & dissimulées. La fille qui se marie pour sortir d’esclavage, le mari qui y entre, amorcé par la dot ; une mere qui se débarrasse de soins gênans, un pere qui déjà songe à éloigner son gendre : tout cet ensemble vous offrira le tableau d’un marché.

Qui le fera, ce tableau ? Le notaire le voit tous les jours dans son cabinet ; mais il y est si accoutumé, qu’il n’y songe plus.

Opposez ces figures qui signent ainsi, à un mariage tel qu’il se pratiquoit dans un siecle pastoral ; & que ces deux pendans ornent le cabinet de tout notaire. Qu’arrivera-t-il ? Je le sais bien. La famille calculante n’y verra que le plus ou le moins de talent du peintre, & rien de plus.