Tableau de Paris/501
CHAPITRE DI.
Saint-Denis en France.
Lieu de la sépulture des rois de France, princes & princesses de leur sang. Le plus beau songe que puisse faire un souverain, a dit le roi de Prusse, c’est de rêver qu’il est roi de France. Ici finit le songe.
On dit que Louis XIV ne voulut pas bâtir à Saint-Germain-en-Laye, emplacement superbe & commode, parce que de ce site il découvroit le clocher de Saint-Denis. Il s’enfonça dans un bas marécageux, où il força la nature, pour perdre de vue le clocher fatal.
« Lorsque la mort avoit fermé la bouche des flatteurs & les yeux du maître de l’Égypte, un tribunal integre s’avançoit pour vérifier sa vie, & l’arrêtoit au bord du tombeau. Là le monarque, rentré dans la triste égalité des morts, suppliant, dépouillé de la grandeur passée, imploroit ce dernier asyle de l’homme & attendoit son arrêt. La nation assemblée, représentant la postérité, nommoit ses vertus, ou dénonçoit ses vices. La plainte des malheureux qu’il avoit opprimés, retentissoit sur son cercueil, ou bien les larmes de la reconnoissance publique l’arrosoient. C’étoit sur ces titres sinceres que ces magistrats de l’avenir prononçoient son jugement irrévocable. S’il avoit abusé de sa vie & de son peuple, les restes condamnés du souverain décédé étoient détruits, & son nom livré à l’immortalité de la honte. Mais s’il avoit vécu le bienfaiteur de ses sujets, ils l’accompagnoient encore dans cette route solitaire ; ils le conduisoient en triomphe vers sa tombe, & la gloire y gravoit à la suite de son nom : ici il continue de régner. Tel étoit le premier flatteur qu’entendoit le nouveau monarque en montant sur le trône.
» Ce tribunal n’est point anéanti. Indépendant de la force & du caprice des coutumes, il subsiste chez toutes les nations & dans tous les tems, invisible & caché. L’incorruptible, l’immortelle vérité observe en silence les souverains du monde, à mesure qu’ils passent. Dès qu’ils sont descendus dans la terre, elle apparoît au-dessus d’eux, donne un démenti éternel à l’imposture, interroge les peuples ; & séparant pour jamais les Titus & les Nérons, elle charge l’équitable histoire d’annoncer son jugement aux générations futures, de livrer les mauvais princes à la justice des siecles, de recommander les bons rois à la postérité. »
À la suite de ce beau morceau, par M. le Tourneur, & qui ouvre son éloge de Charles V, me sera-t-il permis d’ajouter ces lignes ?
Je dirai ce que j’ai vu. On avoit ouvert ces augustes souterreins où l’on dépose avec pompe la dépouille mortelle de nos rois. Un jeune prince, moissonné dans la fleur de son âge[1], alloit y prendre place près de ses ancêtres. Là, dans cette cour silencieuse & triste, les rois sont seuls & ne sont plus flattés. Chaque pas que je faisois m’offroit un sceptre brisé & le néant des grandeurs humaines. Un triple cercueil sembloit vouloir séparer leur orgueilleuse poussiere de celle des autres hommes ; mais malgré le sceau royal, les cendres des enfans de la terre sont toutes égales & doivent se confondre un jour. Je traversois lentement ces voûtes sépulcrales, où la mort apparoît la véritable souveraine de l’univers. Je sentois là, plus qu’ailleurs, son vaste, universel & muet empire. De vains trophées dominoient les tombes des monarques pulvérisés. Ah ! combien l’ami des hommes s’effraie & gémit d’en rencontrer si peu dignes de la couronne qu’ils ont portée ! En voulant lire leurs noms, je confondois les dates, les tombeaux & les siecles. Leurs noms même étoient à moitié effacés par la main du tems. Que ce tems est un sage, un éloquent, un judicieux, un fidele historien ! On passoit auprès de Louis XIV, & l’on disoit, voilà Turenne. On s’arrêtoit aux pieds de Charles V & de son connétable. On distinguoit Louis XII. Mais dès qu’on avoit rencontré le cercueil du héros de la France, on s’arrêtoit, on ne le quittoit plus. J’ai vu une troupe de citoyens environnant ce tombeau, garder un religieux silence, s’approcher avec attendrissement, porter une bouche respectueuse sur le plomb qui renfermoit ces restes précieux. Tous les spectateurs, en contemplant d’un regard fixe cette tombe sacrée, sembloient attendre un miracle du ciel en faveur de la terre. On eût dit que ce bon roi venoit de mourir. On détestoit le parricide comme s’il respiroit encore. On s’entretenoit de cet horrible événement comme d’une calamité récente & générale. On parloit de ses vertus héroïques, de sa bonté populaire, des vœux qu’il formoit pour le plus pauvre au moment où il fut assassiné. Les soupirs des assistans interrompoient leurs éloges, & le regret qui de moment en moment devenoit plus vif, ne permettoit plus qu’au silence de sentiment d’achever la louange.
Les corps des monarques décédés sont rangés sous ces voûtes. Mais seroit-il permis de loger en idée leurs ames ? Où placer celles de Louis XI, de Henri III, de Charles IX ?
Je placerois l’ame de Louis XIV au milieu d’une église peuplée de réfugiés François. Là il entendroit ce qu’on dit de lui ; là il verroit ses enfans innocens expatriés & à l’aumône des Anglois. Il jugeroit lui-même la proscription épouvantable qu’il signa par erreur. Oh, que l’erreur est funeste !
On a tant parlé du trésor de Saint-Denis, du sceptre de Dagobert, de la grande-croix de Charlemagne, de l’oratoire de Philippe-Auguste, que je ne dirai rien sur ces objets bons à fondre ou à vendre.
Ce qui m’a plus étonné que le trésor, ce fut le récit du porte-clef, couvert de la livrée royale, en entrant dans la chapelle de Turenne. Sur ce marbre noir, nous dit-il, était une inscription à la gloire du maréchal ; mais la jalousie de Louis XIV la fit effacer.
Manes de Louis le Grand, vous étiez à dix pas de l’homme qui tenoit ce discours ! Il a dû percer votre tombe ; & c’est ainsi que la vérité viendra s’asseoir près du cercueil de tous les rois.
Je ne sais ; mais après avoir derniérement visité ce lieu si propre à réfléchir, j’ai écrit le soir même le chapitre suivant. Je n’ai rien à dire à celui qui n’y trouveroit pas une liaison secrete avec celui-ci. J’aime tant à me figurer un Être au-dessus des rois, & les jugeant tous. Quoi ! me suis-je dit sur ces tombes, l’auteur du Systême de la nature seroit-il fondé ? J’ai frémi dans tout mon être, & cette idée m’a poursuivi ; je ne voyois plus le genre humain que comme un troupeau bêlant sous la main des… J’ai fui, je me suis soulagé en écrivant ce qui suit.
- ↑ Le duc de Bourgogne, frere aîné de Louis XVI, actuellement régnant.