Tableau de Paris/509

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CHAPITRE DIX.

Bureau qui manque à Paris.


Parmi tant de bureaux qui vous vexent, vous tourmentent, vous pillent, tandis que des quittances de douze sols ont leur paraphe, que tout s’écrit par cette foule de commis automates, qu’on devroit commander désormais à l’art des Vaucanson, il en manque un qui seroit infiniment utile. Ce seroit un registre où tout homme qui veut travailler, en quelque genre que ce fût, s’offriroit en exposant son âge, sa demeure & ses talens. D’un autre côté, un registre semblable recevroit toutes les demandes possibles. Puis des hommes intelligens, faisant la comparaison, rapprocheroient les demandes & les personnes.

N’est-ce pas ce qu’on appelle le hasard qui a placé une foule de gens inoccupés, qui leur a donné de l’emploi ? Pourquoi ne pas hâter ce hasard, ou plutôt le faire naître dans une ville où il y a une multitude de besoins & tant de gens qui cherchent à travailler pour les autres ? Peu d’hommes riches qui n’aient besoin d’un homme pauvre : peu de pauvres qui n’aient besoin d’un homme riche. Le tout consiste à les faire trouver ensemble. Quoi ! voilà un homme qui a des bras ou des talens, & il n’y auroit point de place pour lui dans le monde ?

Les petites affiches sont insuffisantes à cet égard. C’est par une protection particuliere du gazetier que la demande de tel infortuné est rendue publique. Des registres toujours ouverts & que chacun viendroit consulter à toute heure ; des commis habiles à saisir certains rapprochemens ; une bienveillance caractérisée dans cette partie d’administration, feroient disparoître la race des désœuvrés, ou ne leur laisseroit aucune excuse.

Eh ! qui sait si l’on ne pourrait pas étendre ce plan jusqu’aux mariages ? Lorsqu’on songe qu’une simple rencontre a seule déterminé, tantôt une honnête fortune, tantôt une heureuse union, on ne sauroit trop aider à l’inexpérience & à l’aveuglement ; car nous passons tous les uns à côté des autres, sans nous connoître. Qui nous rapprochera ? Qui nous éclaircira sur les rapports de notre situation ?

L’homme qui mérite le plus le titre de bienfaisant, n’est pas celui qui donne de l’or : car l’or se dépense ; mais celui qui prévient l’inaction, dont l’inconvénient est d’engourdir & d’étouffer bientôt toutes les facultés de l’homme.

Que le ministere me fasse directeur d’un pareil bureau, & je m’engage publiquement à en démontrer les bons & salutaires effets en moins de quatre années. J’arracherai à l’oisiveté & au vice une multitude d’hommes. Aucun talent ne demeurera stérile ; & jusqu’à un sot, je puis me vanter de savoir le placer encore plus facilement qu’un homme d’esprit.