Tableau de Paris/514

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CHAPITRE DXIV.

Édits.


Le grand-pere de l’empereur de la Chine actuellement régnant a rendu un rescrit unique dans son genre. Ayant remarqué dans ses jardins une espece de tige qui donnoit un riz meilleur & plus abondant, il cultiva soigneusement cette tige pendant plusieurs années ; & quand par l’expérience il fut certain du succès, c’est-à-dire, que ce riz l’emportoit en qualité sur tout autre, il publia un rescrit où il l’annonçoit à ses peuples. Il en fit la description botanique dans le plus grand détail, donna tous les renseignemens, & offrit à ses sujets des graines de cette précieuse plante.

L’empereur affirma, dans le même rescrit, qu’il étoit plus glorieux & plus satisfait de faire part de cette découverte à son peuple, que d’avoir élevé cent tours de porcelaine. Quand on songe que l’empereur, auteur de ce rescrit, étoit à sa tête de cent quatre-vingt-douze millions d’hommes, qu’il s’occupoit de ces soins paternels & qu’il s’exprimoit ainsi, l’ame est pénétrée de respect ; car cent quatre-vingt-douze millions d’hommes qui bénissent leur souverain du bienfait particulier d’une bonté attentive, forment le plus majestueux & le plus touchant des spectacles.

Quand l’adulation poétique a voulu faire un dieu d’un roi, elle auroit pu paroître excusable, si elle avoit enflé l’expression de la reconnoissance en faveur de ce Souverain Chinois, qui cultiva de ses mains une plante nourriciere, pour l’annoncer avec alégresse & la donner à perpétuité aux descendans de cent quatre-vingt-douze millions d’hommes. Quel trône ! quel monarque ! quel pere !

Si l’éclat des victoires, comme le dit Zoroastre, n’est que la lueur des incendies, quel roi de l’Europe, figuré en bronze dans nos places publiques, ne seroit pas plus grand en tenant dans sa main une tige de cette espece, que d’être environné de l’appareil de la guerre & d’esclaves enchaînés ?

Oh ! si l’on substituoit à toutes ces inscriptions latines les édits de bienfaisance de chaque monarque en langue vulgaire, cela ne seroit-il pas plus vrai, plus simple & plus auguste ? Heureux dans l’avenir le souverain qui pourroit en rassembler un plus grand nombre !