Tableau de Paris/515

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CHAPITRE DXV.

College Royal.


Quand on a parlé d’un professeur, on a parlé de tous ; ils se ressemblent dans leurs stériles fonctions. L’on sait aujourd’hui de quelle mince utilité sont tous ces régens pour les arts ou pour les sciences, qu’ils enseignent à bâtons rompus, & pendant quelques minutes. J’en appelle ici à leur propre conscience, sur les progrès réels de leurs disciples.

Nous sommes loin du siecle de Ramus, & l’on nous ramene ces grotesques leçons qui ne nous conviennent plus. Les livres, voilà les vrais précepteurs des hommes raisonnables. Nous avons des livres ; nous n’avons plus besoin de professeurs.

Quoi de plus ridicule que de voir des hommes de vingt-cinq à trente ans aller écouter un régent qui parle incessamment de goût, & qui n’a point de goût ; & son voisin qui explique sans traduire, ou qui traduit sans expliquer !

Argent mal gagné, tems perdu ; telle devroit être l’inscription véridique du College Royal.

On l’a rebâti à neuf : dépense fort inutile ; c’étoit le dernier édifice de la ville qu’on dût relever.

Au reste, les professeurs auront bien raison d’insister sur l’utilité de ce college, & encore plus sur la validité de leurs appointemens ; mais ceux qui savent ce que sont ces documens de professeurs, leur futilité, leur vain étalage, & de quelle maniere ils font la classe, doivent dire aux étrangers : ne faites pas le voyage pour venir entendre, place Cambray, celui qui possede la chaire de littérature françoise.

On ne sait pas encore si ce college tient ou ne tient pas à une université ; c’est un beau sujet de discorde dans le pays latin. En attendant, le pays est piein de sottises & de solécismes. L’un met in ædibus apud sanctum Germanum Vetus, & il se fait un schisme dans l’université pour soutenir que vetus vaut veterem. L’autre grave sur la pierre d’un mausolée de l’abbé Batteux, afin que cela dure, uno è nostris, au lieu d’uni ; & puis on raccommode, on met un I dans l’O, & cela fait un Φ.

En vérité, nos professeurs de l’université ne savent pas mieux le latin que leur langue maternelle.

Un écolier bâilloit en classe. — Comment, dit le régent, vous bâillez lorsque j’explique ? Je vois là de la malice. — Eh, non, monsieur, je bâille si naturellement !

Quelle belle langue que la langue des Romains, lorsque Cicéron, Virgile, Tacite, l’écrivirent ! C’étoit un peuple libre & vainqueur qui la mettoit en usage ; c’étoit dans des climats doux qu’elle se prononçoit, & qu’elle résonnoit à des oreilles sensibles à l’harmonie ! Elle avoit de la douceur, de l’aménité, de la force & de l’élégance ; mais lorsque les barbares eurent renversé la capitale du monde en féroces vainqueurs, ils porterent leurs attentats jusques sur la langue. Ils la mutilerent comme les chefs-d’œuvres des autres arts. Cette langue s’abâtardit en passant par la bouche d’hommes qui étoient devenus esclaves ; elle ne fit plus entendre que le murmure d’une captive. Ce peuple si fier, tombé au dessous de l’abaissement, ne sachant plus penser, ne sut plus parler.

Le latin se refugia dans les cloîtres, où le monachisme, en lui prêtant l’obscurité, le louche, la superstition de ses viles & puériles idées, lui fit plus de mal que la rage des barbares.

Cette langue s’échappa des mains desséchantes des destructeurs de la raison humaine, pour entrer dans l’Allemagne ; mais appréhendée au corps par les jurisconsultes & les cabalistes, elle ne fut plus que le fantôme de ce qu’elle avoit été, qu’un mêlange monstrueux de différens idiomes, qu’un composé bizarre. C’étoit un cadavre qu’on promenoit, en lui imprimant des mouvemens forcés. Ce qu’il y eut de plus triste enfin, c’est que plusieurs langues vivantes furent étouffées dans leur berceau ; on les immola à ce jargon scientifique, qui passa pour la langue savante. Des langues qui avoient de la richesse & de l’abondance furent dédaignées, & se corrompirent devant une indigne rivale qui, malgré sa dégradation, prit faveur à l’aide des pédantesques universités.