Tableau de Paris/516

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CHAPITRE DXVI.

Falots.


Porteurs de lanternes numérotées, qui vaguent dans les rues vers les dix heures du soir : voilà le falot. Ce cri s’entend après souper ; & ces porteurs de lanternes se répondent ainsi à toute heure de nuit, aux dépens de ceux qui couchent sur le devant ; ils s’attroupent aux portes où l’on donne bal, assemblée.

Le falot est tout-à-la-fois une commodité & une sûreté pour ceux qui rentrent tard chez eux ; le fallot vous conduit dans votre maison, dans votre chambre, fût-elle au septieme étage, & vous fournit de la lumiere quand vous n’avez ni domestique, ni servante, ni allumettes, ni amadou, ni briquet : ce qui n’est pas rare chez les garçons, coureurs de spectacles & batteurs de boulevards. D’ailleurs ces clartés ambulantes épouvantent les voleurs & protegent le public presqu’autant que les escouades du guet.

Ces rôdeurs, tenant lanterne allumée, sont attachés à la police, voient tout ce qui se passe ; & les filoux qui dans les petites rues voudroient interroger les serrures, n’en ont plus le loisir devant ces lumieres inattendues.

Elles se joignent aux réverberes pour éclairer le pavé. Il est devenu beaucoup plus sûr depuis qu’on a imaginé de lancer dans tous les quartiers ces phares qu’on apperçoit de loin, qui vous guident dans les ténebres, qui suppléent aux accidens & à l’invigilance du luminaire public.

À la sortie des spectacles, ces porte-falots sont les commettans des fiacres ; ils les font avancer ou reculer, selon la piece qu’on leur donne. Comme c’est à qui en aura, il faut les payer grassement, sans quoi vous ne voyez ni conducteurs ni chevaux. Ces drôles alors s’égaient entr’eux. Quand ils voient sortir un Gascon bien sec avec ses bas tout crottés, ils croisent leurs feux pour éclairer sa triste figure, & puis ils lui crient aux oreilles : monseigneur veut-il son équipage ? Comment se nomme le cocher de monseigneur ? Ils distribuent à tous les fantassins dont ils se moquent les titres de M. le comte, de M. le marquis, de M. le duc, de milord. Un épétier est un colonel ; & un clerc de notaire en appétit, qui file précipitamment en cheveux longs, pour arriver à table avant le dessert, ces polissons le poursuivent en l’appellant M. le président.

Le porte-fanal se couche très-tard, rend compte le lendemain de tout ce qu’il a apperçu. Rien ne contribue mieux à entretenir l’ordre & à prévenir plusieurs accidens, que ces fanaux qui circulant de côté & d’autre, empêchent par leur subite présence les délits nocturnes. D’ailleurs, au moindre tumulte ils courent au guet, & portent témoignage sur le fait.

Il n’y a que leur cri qui soit fatigant ; mais si le falot crie la nuit, qui ne crie pas dans le jour ? Le petit peuple est naturellement braillard à l’excès ; il pousse sa voix avec une discordance choquante. On entend de tous côtés des cris rauques, aigus, sourds. Voilà le maquereau qui n’est pas mort ; il arrive, il arrive ! Des harengs qui glacent, des harengs nouveaux ! Pommes cuites au four ! Il brûle, il brûle, il brûle ! Ce sont des gâteaux froids. Voilà le plaisir des dames, voilà le plaisir ! C’est du croquet. À la barque, à la barque, à l’écailler ! Ce sont des huîtres. Portugal, Portugal ! Ce sont des oranges.

Joignez à ces cris les clameurs confuses des frippiers ambulans, des vendeurs de parasols, de vieille ferraille, des porteurs d’eau. Les hommes ont des cris de femmes, & les femmes des cris d’hommes. C’est un glapissement perpétuel ; & l’on ne sauroit peindre le ton & l’accent de cette pitoyable criaillerie, lorsque toutes ces voix réunies viennent à se croiser dans un carrefour.

Le ramonneur & la marchande de merlans chantent encore ces cris discordans en songe quand ils dorment, tant l’habitude leur en fait une loi.

Non, jamais le peuple Parisien n’a connu la douce euphonie ; & son oreille, incessamment déchirée & non révoltée, est la plus étrangere à toute expression musicale. Aussi dans les spectacles n’a-t-il point le sentiment de la mélodie, & le plus souvent même de l’harmonie. Et puisque nous sommes à citer des mots grecs, l’euthymie ne lui appartient pas plus que la connoissance de la bonne musique ; mais il rencontre quelquefois l’eutrapelie.

Voilà trois phrases qui sentent bien le pédant, dira-t-on. Pardonnez, lecteur ; je sors de converser avec un traducteur des Grecs, qui vit dans l’ancienne Athenes, & qui ne veut pas connoître mon Paris. Je lui renvoie sa balle à l’article Falots.