Tableau de Paris/519

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CHAPITRE DXIX.

Martinistes.


Secte toute nouvelle qui, tournant absolument le dos aux routes ouvertes par la saine physique, par la solide chymie, & faisant divorce avec tout ce que nous dit l’histoire naturelle, s’est précipitée dans un monde invisible qu’elle seule apperçoit.

Les Martinistes ont adopté les visions du Suédois Swedenborg, qui a vu les anges, qui leur a parlé, qui nous a décrit de sang-froid leur logement, leur écriture, leurs habitudes ; qui a vu enfin de ses yeux les merveilles du ciel & de l’enfer.

Cette secte tire son nom de son chef, auteur du livre intitulé : Des erreurs & de la vérité. Ce livre nous promet, comme tant d’autres, l’évidence & la conviction des vérités, dont la recherche occupe tout l’univers.

La base du systême est, que l’homme est un être dégradé, puni dans un corps matériel pour des fautes antérieures, mais que le rayon divin qu’il porte en soi peut encore ramener à un état de grandeur, de force & de lumiere.

Un monde invisible, un monde d’esprits nous environne ; des intelligences douées de diverses qualités vivent auprès de l’homme, sont les compagnons assidus de ses actions, les témoins de ses pensées. L’homme pourroit communiquer avec eux, & étendre par ce commerce la sphere de ses connoissances, si sa méchanceté & ses vices ne lui avoient pas fait perdre cet important secret.

Les objets que nous voyons sont autant d’images fantastiques & trompeuses : ce que nous ne voyons pas est la réalité. Les expériences physiques sont des erreurs ; tout est du ressort du monde intellectuel ; il n’y a rien de vrai au-delà : nos sens sont des sources éternelles d’imposture & de folie.

L’homme a perdu le séjour de sa gloire, & il n’y rentrera que quand il aura su connoître ce centre fécond où gît la vérité, qui est une & immuable.

Pour toucher ces hautes vérités, il faut s’adresser mieux qu’à des hommes ; il faut converser avec les esprits. Toutes les sciences qui occupent les académies sont vaines ; & faute de s’être éloigné du principe, tous les observateurs ont erré dans les découvertes humaines. Le moindre habitant du monde idéal en sait plus que Bacon, que Boërhaave, & que tous les prétendus génies dont la terre se glorifie.

Certes, le grand Être nous a donné cent raisons différentes, qui n’ont aucun rapport entr’elles, puisque les Martinistes raisonnent paisiblement leurs idées. Ils paroissent avoir la conviction de ce qu’ils affirment. Tranquilles, modérés, ces visionnaires sont les plus doux des hommes, & n’ont point la chaleur ni l’enthousiasme tant reprochés aux autres sectes.

Le livre de leur chef est un galimatias : mais on sait que les mots ne rendent pas toujours toutes les idées que l’on peut avoir ; qu’on peut fort bien s’entendre, sans se faire entendre des autres. Il résulte de cette lecture, que les Martinistes adoptent une foule d’idées métaphysiques ; qu’ils sont diamétralement opposés aux matérialistes ; qu’ils sont religieux dans toute la force du terme, & qu’ils tendent à élever l’homme autant que d’autres se sont plû à le rabaisser.

Eh ! qui ne voudroit avec eux pouvoir converser avec les habitans de l’autre monde ? Comme nos jouissances seroient doublées ! Quelle société ! & que seroient les spectacles de la terre en comparaison ! Nous passerions les jours à redire à nos bons amis de l’autre monde tout ce que nous sentirions pour nos bien-aimés de la terre ; & à nos bien-aimés de la terre, tout ce que nous auroient dit ceux de l’autre monde.

Voilà ce que cherchent les Martinistes. Ils s’y disposent par l’exercice des vertus ; ils parlent de l’Être suprême avec une vénération & un amour qui saisissent l’ame ; & tout ce qu’enseigne le christianisme, ne trouve en eux aucune contradiction formelle. Enfin, ils n’entament aucune question politique.

Qui l’eût dit, qu’après les Encyclopédistes viendroient les Martinistes ? Ceux-ci n’ont aucun trait de la physionomie propre à la hautaine secte philosophique.

Je ne sais comment le clergé, le gouvernement & la littérature s’arrangeront un jour avec eux. La secte qui vit dans un monde intellectuel ne paroît pas vouloir recourir à ce qui choque les hommes. Elle n’ambitionne ni pouvoir, ni richesse, ni renommée ; elle rêve, elle cherche la perfection ; elle est douce & vertueuse, elle veut parler aux morts & aux esprits. Cela n’est pas dangereux.

Des jeunes gens distingués par l’éducation & la figure, suivent ces idées extraordinaires. Ils laissent à d’autres les plateaux électriques, les creusets, les vases en fermentation, les recherches sur l’air fixe ; ils tiennent mieux, à ce qu’ils prétendent ; ils acquierent l’évidence physique sur l’origine du bien & du mal, sur l’homme, sur la nature matérielle, la nature immatérielle & la nature sacrée.

Qu’est-ce, après cela, que la base des gouvernemens politiques, la justice civile & criminelle, les sciences, les langues & les arts ?

Parler aux anges, rappeller son ame aux principes universels de la science, voilà ce qui fait dédaigner la physique & la chymie, qui prenoient une grande faveur.