Tableau de Paris/520

La bibliothèque libre.

CHAPITRE DXX.

Para-tonnerre.


Il est plaisant que de parapluie on soit venu à dire para-tonnerre. Mais qu’importent les mots ? Qui l’eût dit que l’homme viendroit à bout de soutirer le tonnerre, & de lui donner une issue ? Il falloit le tems & l’expérience, pour révéler à l’homme un pareil secret.

Ces grands appareils que la physique moderne a imaginés pour préserver les édifices de la foudre, multipliés dans le sein de plusieurs villes de province, sont rares dans la capitale. Le peuple avoit commencé à dire, comme par-tout ailleurs, que ces conducteurs attiroient la foudre. Bientôt il n’a plus rien dit, faute d’avoir la moindre idée sur cet objet physique. Ne lui sachons donc pas gré de son silence.

M. l’abbé Bertholon, professeur de physique expérimentale des États-généraux de la province de Languedoc, est celui qui a montré le plus de zele pour opposer les armes merveilleuses de la physique aux surprises de la foudre. Il a dirigé la construction des premiers para-tonnerres de Paris ; & cet honneur lui étoit dû après avoir élevé les superbes para-tonnerres de Lyon.

On en voit deux, l’un placé sur l’hôtel de Charost, fauxbourg Saint-Honoré. Il a cent quatre-vingt-cinq pieds de longueur ; & la partie qui est dans la terre, aboutit à l’eau, a vingt-huit pieds de profondeur. Le second est à l’autre extrémité de Paris, sur le couvent des religieuses augustines Angloises, de la rue des fossés-Saint-Victor. Il a cent quatre-vingt huit pieds de long ; & la portion enfoncée dans la terre, qui se perd ensuite sous l’eau, est de quatre-vingt-dix pieds : profondeur à laquelle nul autre para-tonnerre dans ce genre ne peut être comparé.

La jonction de toutes les pieces qui composent cet appareil est à vis profondes ; & toutes les barres semblent, par la précision du travail, ne former qu’une seule piece. Des communications métalliques, savamment ménagées, se trouvent dans les endroits où elles sont nécessaires ou utiles. Enfin la foudre doit obéir à M. l’abbé Bertholon, & suivre la direction qu’il lui a prescrite.

Le petit peuple ne pourra guere comprendre ni deviner comment on dissipe le feu de la foudre ; il n’y croit pas encore, quoique la preuve en soit sous ses yeux. Et le beau monde lui-même est-il mieux instruit ? sait-il qu’il y a des para-tonnerres ascendans ? en connoît-il l’usage ?

Sait-il qu’il est actuellement bien démontré par un grand nombre d’observations, que la foudre s’éleve souvent de terre ? Si l’électricité, vraie cause de la foudre, est surabondante dans les nuages, elle s’élance vers le globe de la terre. Si au contraire elle est accumulée dans le sein de la terre, elle s’en échappe pour se répandre à l’équilibre dans l’athmosphere. Afin qu’un édifice soit prémuni contre ces deux dangers, il est donc nécessaire d’établir un para-tonnerre contre la foudre qui monte, comme on en a établi un contre celle qui tombe.

Il y a souvent des foudres terrestres, & si les poëtes ont constamment fait descendre la foudre du ciel dans leurs vers ambitieux, c’est qu’ils ont été d’insignes ignorans sur les véritables causes, l’arrangement des mots étant leur unique affaire.

La plus belle poésie ne nous préserveroit pas du malheur d’être tués d’un coup de foudre ; il faut donc revenir aux para-tonnerres ascendans de M. l’abbé Bertholon. Il a garanti de cette maniere un clocher de Lyon, sur lequel le tonnerre étoit tombé très-souvent.