Tableau de Paris/524

La bibliothèque libre.

CHAPITRE DXXIV.

Mausolées.


Quand un prince est décédé, on commande le lendemain son oraison funebre à un évêque ; puis on fait venir un architecte-décorateur, qui bâtit un catafalque au milieu de l’église de Notre-Dame. Le marteau résonne pendant un mois dans le saint lieu ; les cris des ouvriers absorbent la sonnette du lever-Dieu, & les chants des chanoines ; la voix des charpentiers couvre celle des chantres ; on n’entend plus le Magnificat ni l’Oremus fratres. Les serpens[1] du chœur & l’orgue de la nef font moins de bruit que les hautes clameurs des manœuvres. On diroit que la hache & la scie ont conspiré pour faire taire l’office divin. Mais ce n’est plus un scandale ; car il s’agit d’orner le cercueil d’un individu du sang royal.

L’architecte décorateur entoure le sarcophage de statues creuses, représentant les vertus qui précisément manquerent au défunt.

On fait venir ensuite tous les violons & basses de la ville. On brûle dix mille bougies. On étouffe dans cet enclos, qu’on environne prudemment de pompiers ; car les parens du mort ne veulent pas être brûlés vifs au milieu de cette charpente légere & dressée à la hâte.

C’est une mascarade funebre qui dure quatre heures. Rarement une larme sincere coule sur ces tombes fastueuses ; il ne manque à tous ces emblêmes de deuil qui tapissent la hauteur des voûtes, que la douleur publique.

Eh quoi, des os en poudre ont encor des flatteurs !

La famille du mort, qui a ordonné l’oraison funebre, est venue l’écouter en pompeux cortege. L’orgueil des rangs étale encore ses prééminences autour de l’autel de la mort ; l’orgueil demande des adulations sur la tombe de celui qui est jugé par la voix du peuple ; & c’est le sacerdoce qui se prête à cette complaisance.

L’orateur a promis quelquefois de dire la vérité ; mais ce nom, terrible à prononcer, le lie à de sérieux engagemens. La promesse est un parjure, la vérité demeure au bas de l’escalier de la chaire de vérité, & l’orateur y monte seul, à front découvert.

Il fait des tours de force pour plâtrer la difformité de son idole, ou bien il vous éblouit par des phrases compassées. Il étale des figures de rhétorique aussi vuides que celles qui semblent pleurer sur le monument. Les feintes larmes de ces menteuses effigies ressemblent à la fausse éloquence qui va frapper ces passageres décorations.

Le surlendemain l’édifice tombe ; on met en pieces les vertus de plâtre ; & l’éloquence de l’orateur, toute aussi fragile, disparoît devant l’œil moqueur d’un peuple qui en avoit ri d’avance.

C’est une institution bien absurde que celle des oraisons funebres ; mais ce n’est là cependant qu’un des moindres abus qu’on rencontre dans l’intérieur des soixante-quatre majestueuses barrieres de sapin qui circonvallent la bonne ville de Paris. La structure coûteuse de cette chapelle illuminée a du moins fait refluer vers une foule d’ouvriers un peu de cet argent qui ne circule que graces à la folie & à l’ostentation des princes & des grands.

Pour tout ce que ces catafalques ont coûté depuis cent cinquante ans, on auroit pu ériger des monumens durables & faire sortir des chefs-d’œuvres immortels du ciseau de la sculpture. Mais on ne voit à Paris que le mausolée du cardinal de Richelieu, & celui du cardinal de Fleury ; le beau mausolée du maréchal de Saxe est allé orner la ville de Strasbourg.

Point de Céramique parmi nous, où l’on rencontre la statue de l’homme de génie ou de l’homme bienfaisant à côté du souverain. Qu’y auroit-il de plus éloquent néanmoins, que de voir les tombeaux joindre les noms que la postérité doit unir ? Les modeles des vertus patriotiques, frappant tous les regards, échaufferoient toutes les classes de citoyens ! Voyez dans l’abbaye de Westminster, le peuple qui se presse en foule qui lit avec vénération les noms des célebres morts ; qui revient avec un vif intérêt sur leurs grandes actions ! Reconnoissance publique d’un peuple sensible, qui a placé ensemble tous les personnages que la gloire a consacrés, parce qu’après la mort il ne reste plus qu’elle, & que cette foule de princes & de rois doivent s’enfoncer dans l’oubli, pour laisser nu & découvert, aux rayons purs & éclatans de l’immortalité, le buste en argille de tel homme qui fut leur sujet.

Le burin du graveur Cochin s’est plu à nous transmettre la représentation de plusieurs catafalques, ainsi qu’il a représenté des bals parés. Les effets de l’ombre & de la lumiere offroient à son art des touches pittoresques. C’est tout ce qu’il cherchoit ; & c’est aussi tout ce qui restera de ces bizarres cérémonies qui n’intéressent ni le cœur ni l’esprit, qui ne touchent personne, & dont la dépense devroit s’appliquer à des travaux plus durables & plus utiles.

Le cirier trouvera sans doute cette réflexion fort déplacée ; mais brûler tant de bougies en plein jour, au risque d’incendier des planches noircies & des toiles vernissées, me paroît un des usages déraisonnables que notre siecle devroit abolir ; car pourquoi répéter les vieilles & absurdes coutumes des siecles passés ?

  1. On sait que c’est un instrument à vent ; mais il est singulier qu’on dise, il y a dans cette église un excellent serpent, & qu’on voie afficher en grosses lettres, concours de serpens dans l’église Saint-Benoît, &c.