Tableau de Paris/531

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CHAPITRE DXXXI.

Musées.


Établissemens nouveaux, que quelques particuliers s’efforcent de naturaliser parmi nous. Ils auront beaucoup de peine à réussir, parce qu’il y a trop peu de liberté dans notre gouvernement, pour que chacun donne un développement sûr à ses vues particulieres, & que la capitale a plutôt des goûts & des fantaisies qu’un amour réel & constant pour les sciences & pour les arts.

Avec quel zele infatigable M. de la Blancherie n’a-t-il pas poursuivi l’ouverture de ces assemblées ! Chaque jour il avoit à combattre quelque nouvel obstacle. Son musée s’ouvroit, se fermoit, tomboit, se relevoit, il le promenoit dans tous les quartiers, & jamais il n’a pu recevoir une assiette solide & fixe, parce que les hommes ne s’assembleront jamais pour mêler leurs idées, leurs vues, leurs entreprises autre part que dans une république. Il nous manquera toujours un point de réunion pour l’éloquence, pour les belles-lettres, pour la philosophie ; il faut que ceux qui cultivent ces arts, travaillent isolés, & ils n’en vaudront que mieux. On tente de le donner, ce point fixe, aux sciences exactes, à la physique, à la chymie, aux mathématiques. M. Pilatre de Rozier sera-t-il plus heureux que M. de la Blancherie ? Verra-t-on accourir en foule les savans, les artistes, les amateurs nationaux ou étrangers ?

Les prospectus étalent de superbes promesses ; les commissaires ont prononcé, le gouvernement a accordé sa protection à l’hôtel où tous les chefs-d’œuvres des arts doivent se réunir. Toutes les classes de citoyens sont averties de venir à tel jour & à telle heure puiser dans le vaste bassin des sciences ; mais l’exécution répondra-t-elle à tout ce grand appareil ? J’en doute fort, même pour les sciences qui n’alarment point l’administration.

Toute assemblée publique est trop contraire à l’esprit du gouvernement François, pour qu’elle ait lieu ; & toute société qui ne fera pas ses loix elle-même & qui les recevra, ne pourra ni se maintenir, ni poursuivre, ni chérir ses travaux. Ces sortes d’établissemens me paroissent impraticables, parce qu’il n’y a à Paris que des liaisons superficielles, & que les prohibitions sont si aisées, si multipliées, qu’il ne faut que le sot rapport d’un subalterne, ou la mauvaise humeur d’un homme en place, pour dissoudre l’assemblée d’hommes les plus éclairés & les plus animés du bien public.