Tableau de Paris/538

La bibliothèque libre.

CHAPITRE DXXXVIII.

Mémoires imprimés.


Si les injures ne les défiguroient pas trop souvent, la société en retireroit un grand avantage dans les affaires litigieuses.

Comme il y a des hommes qui, par ton, ou plutôt par un secret intérêt, contredisent les choses les plus claires, les plus utiles, & réduisent tout en problême, on a vu des parleurs assez ennemis de la justice & de l’ordre pour condamner cette défense publique de l’opprimé, toujours formidable à l’oppresseur, & qui, en éclairant le public, dirige les magistrats & peut leur sauver beaucoup d’écarts. Vox populi, vox Dei.

Si la découverte de l’imprimerie est un présent divin fait aux hommes, c’est sur-tout lorsqu’elle peut servir à intéresser une nation entiere, à la rendre attentive aux droits de l’infortuné sans nom & sans crédit. Rien ne doit plus irriter le méchant & l’homme injuste que l’idée de voir le flambeau subitement enfoncé dans les ténebres, où ils cachoient leurs actions honteuses.

L’honnête homme ne craint point les recherches que l’on peut faire sur sa vie privée. Semblable à ce Romain vertueux, il habiteroit volontiers une maison diaphane. C’est donc une institution qui mérite d’être conservée, que celle qui traduit d’abord, en présence du public, les combats qui doivent se porter sous l’œil des juges. Ils seront plus assurés dans leur marche, parce que la question aura été débattue & apperçue sous toutes ses faces.

La voix publique a une droiture & une force que le philosophe ne se lasse point d’admirer. Rarement elle s’égare ; & même lorsqu’elle se trompe, elle fait toujours des observations assez justes, dont on peut profiter.

Quand un peuple deviendra fin & rusé, l’injustice se perfectionnera chez lui dans l’art de se couvrir des apparences de l’équité. Ses voiles d’iniquités seront plus épais, & il n’y aura que des mains hardies qui pourront les déchirer.

Le riche a l’avantage sur le pauvre qu’il peut employer pour sa défense les plus hauts talens, appuyer son usurpation de tous les dehors imposans de l’éloquence. Le pauvre est seul. S’il n’a pas la ressource d’intéresser le public & de promettre à son défenseur la gloire qui accompagne le courage désintéressé, il succombera.

Le plus terrible frein qu’on puisse opposer enfin à l’injustice qui foule aux pieds les loix dès qu’elle croit n’être pas apperçue, est la menace d’amener ses violences sourdes au grand jour. Alors elle frémira, elle accordera à la crainte de la honte ce qu’elle aura refusé au tribunal de la conscience.

Nous le répétons, il n’y a que l’homme dont la vie cherche l’ombre, qui puisse réclamer contre cet usage propre à démasquer les fourbes, à intimider les hypocrites, à comprimer le crime dans le cœur du méchant, qui craint plus ordinairement l’infamie que ses propres remords.

Ne dissimulons pas qu’on peut abuser de cet avantage, qu’on l’a fait ; & de quoi n’abuse-ton point ? Mais les abus sont en trop petit nombre pour contrebalancer l’utilité qui résulte de la publicité des faits litigieux. Le vrai perce toujours ; il a un caractere qu’on ne peut méconnoître. Ce qui appartient à la calomnie, n’est point durable ; elle se trahit toujours par quelque côté. D’ailleurs les mémoires injurieux sont supprimés, & leurs auteurs flétris.

La profession des lettres devroit être indispensablement liée à celle d’avocat ; ou plutôt ce ne devroit être, comme chez les anciens, qu’un seul & même état. Mais les vieux avocats, voulant se réserver exclusivement le droit lucratif de signer des pieces d’écriture, que le plus souvent ils n’ont pas faites, ont déclaré la guerre aux jeunes, afin d’éloigner des copartageans incommodes. Ils ont imaginé toutes les entraves pour ôter à une profession noble sa liberté, pour y briser le ressort des grandes ames. Ils se sont opposés à son affranchissement : de sorte qu’avec le tableau, l’ordre des avocats n’est plus aujourd’hui qu’une communauté de procureurs.