Tableau de Paris/540
CHAPITRE DXL.
Mimes d’un genre nouveau.
J’ai vu trois hommes doués d’un talent singulier. Ils imitoient parfaitement ce que personne ne songe à imiter, comme le bruit léger d’une mouche qui vole & bourdonne, d’une porte qui se ferme & de la clef qui tombe, d’un pot qui se casse. Vous entendez ensuite le chant de vingt religieuses, où vous distinguez les voix jeunes & les voix cassées ; une procession, un enterrement que coupe un embarras, la voix mesurée des prêtres & la voix rauque des voituriers. L’œil voit l’auteur qui crée tous ces tons différens, & l’oreille s’étonne de leur vérité & de leur précision.
Le même homme à table se métamorphose rapidement en plusieurs personnages, pleure, rit, chante, sanglotte, éternue, tousse, fait le sourd, le niais, l’aveugle, le goutteux. Chaque tableau passe comme un éclair ; ce sont des nuances fines, délicates, promptes, qui donnent à sa physionomie des physionomies diverses, & qui lui impriment une prodigieuse & incroyable mobilité.
Il seroit impossible de donner aux étrangers une idée de ce talent rare & pittoresque ; il faut le voir. S’il est impossible à la plume de représenter le jeu pathétique de la Dumesnil, les graces de feu Poisson, la naïveté de mademoiselle Dangeville, il me seroit encore plus difficile de décrire le jeu fin de ces mimes. Heureux imitateurs des accidens variés de la nature, elle leur fournit une multitude de traits qu’on n’a jamais songé à faire passer sur nos théatres. Nos salles seroient trop vastes pour ces imitations fines & déliées, qui déguisent l’art avec tant d’adresse. Il faut voir & entendre ces mimes, & lorsqu’on les a vus & entendus, on a peine à comprendre comment l’art a pu s’approcher de ce point de perfection. Sortez d’auprès d’eux, & assez voir Préville, comédien du roi : son jeu ne vous paroîtra plus qu’une grimace, une charge perpétuelle, une attitude maniérée.