Tableau de Paris/570

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CHAPITRE DLXX.

Dix-huit ans.


À dix-huit ans un Parisien a fait ses études. Il croit tout savoir ; il ne sait rien : mais il n’est plus censé devoir rien apprendre, étant hors de la férule des régens. Nous lisons que Cicéron, César, à l’âge de vingt-cinq ans portoient encore le nom de disciples. Ils se préparoient dans de longues études aux importantes affaires du gouvernement. César & Cicéron avoient de l’esprit, mais ils ne pensoient pas qu’il dût remplacer des connoissances, ou qu’on pût se reposer sur des subalternes pour les fonctions du ministere public ; se réserver le brillant du projet, & en dédaigner les détails utiles.

Ces anciens vouloient connoître par eux-mêmes les hommes, examiner les poids, les ressorts, les mouvemens de la machine politique. L’esprit ne devine pas tout cela ; il faut voir, calculer, peser, & c’est ce qu’ils faisoient sans rougir.

De nos jours à vingt ans le fils d’un président commence à caqueter sur des matieres importantes ; les enfans des hommes en place passent d’une timidité excessive à une arrogance remarquable. On songe à faire de ces jeunes gens des orateurs, des colonels, des juges, de futurs évêques ; l’inspirateur, le secretaire est déjà choisi : c’en est assez pour le succès. Si l’on osoit, on les déclareroit adjoints au ministere ; on n’use néanmoins de cette licence, qui date de notre siecle que pour quelques bureaux déjà tout montés.

L’homme qui ose parler à vingt ans sera au-dessous du médiocre à trente ; c’est ce que j’ai été à portée de vérifier sur nombre de sujets. Mais les faveurs des femmes, quelques mots saisis à la volée, un peu d’imagination, donnent à la jeunesse actuelle une confiance & une témérité qui n’appartenoient pas à la génération précédente. Les jeunes gens ont réellement trop de cet esprit fondé sur les phrases qui circulent ; il faut que leur ame d’emprunt se dissipe bientôt en frivoles bluettes ; ce babil est l’infaillible marque d’un esprit sans consistance ; ils parlent beaucoup, ils tranchent ; & chose singuliere, ils sont tous d’un sérieux qu’on pourroit appeller triste.