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Tableau de Paris/651

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CHAPITRE DCLI.

Vieux Garçons.


Il y auroit bien des choses à dire sur le célibat, si commun dans notre siecle, & triomphant dans la capitale. En examiner les causes & en indiquer les remedes, ne seroit pas une petite affaire. Toutes les déclamations morales, ou de mauvaises comédies, ne feront pas faire un mariage de plus.

Il faudroit réformer le vice qui établit un mur de séparation entre deux êtres que la nature appelle, & qui se fuient dans la crainte d’augmenter la pesanteur de leur chaîne.

La nature elle-même a donné à l’homme la prévoyance, & l’homme frémit en appercevant l’association forcée du luxe & de la misere. Il voit naître des enfans, dont tous les cris peut-être seront des cris de besoin, & qui sont mieux dans le néant que sur le plancher d’une ville, où ils n’auront à leur avénement au monde pas un pouce de terre.

Le lait nourricier leur manquera, s’il n’est arrhé ; & s’ils parviennent à un certain âge, ce ne sera le plus souvent que pour être les serviteurs précaires de la portion opulente.

C’est ainsi que le célibataire raisonne son systême ; mais pour éviter un danger, il embrasse un vice. Il est seul, son cœur se durcit ou se desseche ; il fuit les embrassemens de la tendresse pour tomber dans ceux de la débauche. Il a refusé une compagne ; il rencontre une maîtresse impérieuse, qui n’a point d’intérêt d’être économe, qui lui donne des liens plus pesans que ceux qu’il a voulu éviter, & dont l’affection, rétrécie par la cupidité, écarte l’économie. Elle dérobe tout ce qu’elle peut dérober ; l’habitude l’attache à une femme qui grossit clandestinement sa fortune des débris de celui qu’elle pille. Il vieillit insensiblement, & il s’est préparé le malheur de n’avoir aucun ami dans sa vieillesse, ayant repoussé ceux que la nature lui présentoit. Il n’a pas joui d’un cœur qui se soit pleinement fondu dans le sien ; & fût-il susceptible d’amour, le délicieux sentiment de l’estime ne s’y joindra pas : car il ne pourra nommer publiquement la compagne de sa couche ; & les baisers qu’il donnera à des enfans que la loi flétrit, seront des baisers furtifs, qui feront toujours quelques reproches à son ame paternelle.

Vieux garçon, vieux coquin, dit le proverbe. En général, il n’est pas menteur ; les exceptions sont rares. Une vieille fille peut dire : on n’a pas voulu de moi, j’étois laide, j’étois pauvre ; je n’ai point refusé. Mais le vieux garçon qui, dans la carriere de sa vie, n’a point eu de courage d’adopter une femme, (& celle qu’il cherchoit n’existât-elle pas) qui n’a point su créer une ame propre à sympathiser avec la sienne, quelle excuse peut-il donner ? De quelle foiblesse ne s’accuse-t-il pas !

Que sont ces célibataires ? Errant dans la société, ils vont tendant des pieges à l’innocence, & semant le trouble dans les familles. Idolâtres d’eux-mêmes, ils comptent pour rien la honte de la beauté, les larmes & les soupirs de la foiblesse abusée.

D’autres plus coupables encore, attaquent le lien conjugal, & réfléchissant ce crime, joignent à leur perfidie l’espoir affreux de croire mieux cacher leurs désordres, & de se tranquilliser sur les suites.

Ce fut un célibataire qui le premier inventa ce dangereux langage qui enivre l’amour-propre féminin, en outrant la louange due à la beauté.

Le plus grand argument des célibataires est qu’ils sont libres. Eux, libres ! eux esclaves le plus souvent des plus viles courtisannes ; eux qui portent à leurs pieds leur fortune ; eux qui sont le jouet de leurs caprices, de leurs fantaisies ; eux qui en comptant trouver la volupté, ne rencontrent que des faveurs meurtrieres ; eux trompés dans leur jeune âge, volés dans leur vieillesse, & qui seront abandonnés à leur lit de mort, si l’insensibilité qui les environne, juste punition de leur vie passée, ne précipite point leur trépas.