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Tableau de Paris/652

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CHAPITRE DCLII.

Poëmes lyriques.


Cest bien à tort qu’on a voulu rétrécir le genre de l’opéra, lequel, étant par sa nature le spectacle de l’imagination, n’est point fait pour recevoir des limites. La magie, la mythologie, l’histoire, tout lui appartient. Le pays de l’illusion ne sauroit être trop vaste, parce que cette reine fantastique ne vit & ne se plaît qu’au milieu d’une magnificence prodigue & merveilleuse. Vouloir borner l’espace immense où elle plane, c’est l’anéantir. Elle ne souffrira jamais qu’on trace un cercle autour d’elle.

Aussi dès que le poëte a fait pacte avec la brillante chimere, il est, pour ainsi dire, livré à cet agent surnaturel, qui a droit de lui commander despotiquement. Il faut qu’il monte aux cieux, qu’il descende aux enfers, qu’il visite les dieux & les diables, les temples de les cavernes ; qu’il danse, qu’il chante, qu’il sommeille, qu’il vole sur les nuages & qu’il ne se plaigne jamais des chaînes ou des ailes que le monstre lui donne. Il est entiérement subordonné à cette baguette magique, qui commande aux élémens, aux airs, aux ritournelles, aux ballets & aux décorations. Il s’est enfin donné à une espece d’enchanteur qui lui a ravi sa logique.

Rien au monde n’est plus opposé que le drame simple & le drame lyrique. L’intérêt vif & continu est le partage du premier ; le second ne se fie pas de même à une seule & même sensation prolongée ; il les appelle toutes ; il lui faut des moyens immenses & diversifiés ; le cortege, le concours, la clameur de tous les arts & même leur lutte confuse, s’il faut le dire, au lieu de leur accord.

Reste à savoir si de tant de choses disparates, il peut jamais résulter cette unité touchante qui pénetre le cœur ; & si à force de vouloir prodiguer les enchantemens, on ne parvient pas à fatiguer l’œil & à étourdir l’oreille. Quoi qu’il en soit, l’imagination du spectateur rencontre son plaisir dans la variété de ceux qui lui sont offerts ; il saisit à la volée ce qui parle le mieux à ses sens. Toutes les impressions viennent l’interroger ; celles qui plaisent sont admises.

On a voulu tracer la théorie de cet art. Ce seroit vouloir faire raisonner la folie ; & pourquoi lui ôter sa licence bizarre ? L’opéra ne frappe que par son extravagance, par la multiplicité & la confusion des objets. Il faut laisser à ce monstre brillant ses dimensions irrégulieres ; il ne pique la curiosité, il n’intéresse pas le cœur ; il ne produit la surprise que par la singularité de ses formes fantasques & changeantes.

On veut donner aujourd’hui aux poëmes lyriques une marche sage, une contexture raisonnée, un intérêt unique ; soit. Le poëme sera plus conforme aux regles ; mais j’aurai moins de plaisir. Un opéra doit être un conte de fée. Je trouverai assez ailleurs des pieces raisonnées & touchantes, qui parleront à la raison & à l’ame. Ici, je veux voir un monde étrange & de fantaisie.