Aller au contenu

Tableau de Paris/661

La bibliothèque libre.

CHAPITRE DCLXI.

Singulier mariage.


Un fermier-général, las des coquettes de Paris, de toutes ces petites filles maniérées que l’on présente successivement à l’enchere, conçut le dessein de chercher au hasard une femme en province.

Il va à la poste, fait mettre des chevaux à sa chaise, où aller, dit le postillon ? Du côté que tu voudras, n’importe, marche. Mais, monsieur… — Va devant toi. Le postillon le mene à Saint-Denis. À Saint-Denis même ordre au postillon, où tu voudras, va devant toi. De poste en poste, il parvint sur la frontiere, du côté de ***. Il s’arrête, entre dans une église, regarde à droite & à gauche ; on alloit chanter un salut avec exposition du S. Sacrement. Il voit entrer une femme précédée d’une belle fille, âgée de dix-huit ans.

Il sort de l’église, se présente chez la dame & lui dit : je viens vous demander votre fille en mariage. — Eh ! qui vous a conduit ici, monsieur ? — Les postillons, madame. Je suis fermier-général, faites venir le directeur, il reconnoîtra bien ma signature. Le directeur vient, & se met presqu’à genoux devant un des princes de la finance. On dîne ; après le repas, le fermier-général dit à la mere, j’ai cent mille livres de rentes, j’en offre la moitié à votre fille en donation. La dame, qui vivoit d’un médiocre revenu avec sa fille, ne la refusa point à un homme opulent ; & quelques jours après, les mêmes chevaux de postes ramenerent triomphamment à Paris la mere, la fille & l’époux.

Que les demoiselles de province qui rêvent incessamment à la capitale, ne désesperent pas d’y arriver un jour. Plus d’un homme opulent saisira peut-être l’exemple que nous venons de citer. Qu’elles s’accoutument donc à l’idée agréable de voir des maris arriver en poste, pour mettre à leurs pieds une fortune digne de leurs charmes ; & que Paris s’embellissant encore à leurs yeux par cette attente, elles cultivent d’autant plus les talens qu’elles négligent. Cette idée servira tout-à-la-fois à ne pas rendre inutiles les dépenses de leurs parens, & à réprimer la trop familiere ivresse des petits provinciaux qui les obsedent & qui étalent une suffisance fondée sur ce qu’ils s’imaginent être les seuls au monde qui puissent s’offrir comme amans & comme époux.