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Tableau de Paris/701

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CHAPITRE DCCI.

Habit noir. Bas blancs.


On a ridiculisé la mode, qui consistoit à porter des bas blancs, avec habit, veste & culotte noirs : nous savons de science certaine que cette mode a déplu à la cour & nous l’annonçons à l’univers, afin que l’univers se corrige ; la réprobation a été jusqu’à appeler cette mode, la mode hideuse, & l’on a bientôt remarqué que les garçons tailleurs dans la comédie du Bourgeois-gentilhomme étoient habillés ainsi ; cette mode est donc proscrite, & je ne conseille à personne de venir affronter les regards de la cour, ni même ceux de la ville dans un pareil accoûtrement ; quand on porte l’habit noir, il faut être noir des pieds à la tête & ne plus oser mettre des bas blancs ; or, vous voilà bien instruits, étrangers & provinciaux. Prenez donc garde à l’infraction.

Tel homme est en noir, mais il n’est pas en deuil ; voilà une de ces distinctions savantes, & qu’on fait cependant au premier coup-d’œil.

Le blanc est la couleur du deuil à la Chine, le bleu ou le violet en Turquie, le jaune en Égypte, le gris-blanc dans l’Éthiopie, & le gris-de-souris au Pérou.

De toutes ces couleurs, le jaune ou feuille-morte paroîtroit devoir être la véritable marque distinctive du deuil, parce que les feuilles des arbres, quand elles tombent, & les herbes, quand elles sont flétries, jaunissent.

Il est vrai que le noir, étant une privation de la lumière, marque la privation de la vie ; mais le jaune détermine bien mieux, selon moi, la fin des choses périssables, puisque la face de la terre devient jaune à la fin de l’automne.

Les militaires en uniforme, marquent le deuil par un crêpe noir autour du bras ; mais lorsqu’ils sont tout-à-fait en noir, ils portent à leur épée une dragonne en or, parce qu’un militaire ne doit jamais renoncer à une marque distinctive de son état.

Le chancelier est le seul dans le royaume qui ne porte jamais le deuil, pour quelque sujet que ce puisse être, parce qu’il représente la justice dont il est le chef, & que la justice étant impassible, ne doit changer ni de visage, ni de couleur.

C’est une erreur de penser que le roi ne porte jamais le deuil, qu’en habit violet ; le roi porte ainsi le deuil du feu roi, pendant les trois premiers mois ; mais au bout de ces trois mois, sa majesté porte le deuil comme tous ses sujets. Nous avions donc commis nous-mêmes une grande erreur, & nous nous empressons à la réformer, ainsi que nous ferons chaque fois que nous nous serons trompés.

Et si l’on nous demandoit pourquoi le roi porte le violet ; nous répondrions que le violet étant une couleur mêlée de bleu & de rouge, elle est le double emblême des souffrances de cette vie, même sur le trône, & de ce qu’on souhaite aux morts, parce que le bleu marque le bonheur dont on desire que les morts jouissent ; mais enfin le monarque reprend le noir, pour témoigner le chagrin qu’il a de succéder.

Et comme il est évident qu’un monarque est le père tendre de ses sujets, tous les sujets portent le deuil du feu roi, comme pour père & mère, & pendant le même temps.

On se plaint qu’on porte assez librement le deuil d’un roi étranger ; mais les Parisiens sont assez généralement portés à croire qu’il n’y a qu’un roi en Europe.