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Tableau de Paris/702

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CHAPITRE DCCII.

Marbres.


Tous les rois, après leur mort, ont autour de leur effigie des vertus de marbre ou de bronze, les ministres en ont aussi. Richelieu meurt en Sorbonne, entre les bras de la Religion ; Mazarin en son collége, dans ceux de la Charité libérale ; le cardinal Fleury à Saint-Louis-du-Louvre, dans les bras de la Foi ; le cardinal Dubois a aussi des vertus qui l’environnent, dans la chapelle Saint-Honoré ; les mains jointes, après sa mort, il prie Dieu dévotement.

Si vous en croyez le ciseau, tous ces morts ont été pieux, religieux, & sans cesse prosternés aux pieds des autels. Immortaliser le mensonge, & le faire peser sur la tombe de celui dont la conscience souffre peut-être encore, voilà l’ouvrage des sculpteurs ! Ils traduisent le faux en un marbre durable, & qui, sans le burin de l’histoire, iroit tromper la postérité, & transformer en hommes de bien les lâches ennemis de leur siècle, & de leurs concitoyens. C’est ici qu’il faut redire ces beaux vers :

Brisez-vous sous mes yeux, ô marbres imposteurs :
Eh, quoi ! des os en poudre ont encor des flatteurs !

Quelquefois des rapprochemens inattendus font sourire le philosophe ; à Sainte-Geneviève, par exemple, à quelques pas de distance, René Descartes montre son effigie, & Clovis la sienne.

Oh ! que les sculpteurs sont pauvres en idées ! ils ne sortent pas du cercle de la mythologie ; c’est toujours la même allégorie copiée & recopiée.

J’ai vu le tombeau du dauphin & de la dauphine ; le fils unique de Louis XV mourut d’une maladie de langueur & inconnue. Cette catastrophe donnoit sans doute une grande profondeur aux réflexions sur la vanité des choses humaines ; mais dans ce monument on oublia l’objet moral & même touchant. L’artiste mourut avant d’avoir achevé son ouvrage, ainsi que le prince étoit descendu dans la tombe avant de monter sur le trône. On n’en vit pas moins des symboles païens, des figures mythologiques, & rien sur cette douloureuse réunion de deux époux dans le tombeau ; rien sur les deux victimes destinées à régner qu’une mort prématurée avoit immolées. Il étoit difficile enfin au peuple français de lire sur ce marbre la perte qu’il avoit faite, & de deviner même quelle avoit été la tendresse de ce couple auguste.

Au reste, si quelqu’un est jaloux de l’honneur du marbre, nous le prévenons avec plaisir que Coignard, sculpteur-marbrier, rue des Postes, fait tombes & épitaphes, ainsi que l’annonce une enseigne publique, afin que chacun puisse se pourvoir d’après son goût, & que personne n’en ignore.