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Tableau de Paris/707

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CHAPITRE DCCVII.

Fouquet.


M. Fouquet, dit-on, étoit réellement coupable. Il avoit fait son marché avec les Anglais pour Belle-Isle. Le roi Charles II, qui avoit été lié dès sa première jeunesse avec Louis XIV, & qui étoit à peu près du même âge, lui en fournit les pièces originales à son avènement au trône d’Angleterre, mais sous promesse formelle que M. Fouquet ne seroit jamais recherché pour cela nommément.

On prit le parti de l’attaquer pour malversation dans les finances.

Du temps de M. Fouquet, il y avoit deux surintendans, l’un chargé de la dépense, l’autre uniquement de la recette & de la rentrée des deniers. C’étoit M. Fouquet, & ce fut le fond de sa défense, quand il fut arrêté. Mais il se trouva que dans les fermes il avoit reçu des pots-de-vin, qui avoient diminué d’autant le montant intrinsèque des baux.

Quand il fut envoyé au donjon de Pignerol, on créa pour sa garde une compagnie franche de cent hommes, & l’on fit du donjon un commandement indépendant, qui fut donné à M. de Saint-Marc.

On l’en tira, parce que le tonnerre vint à tomber sur le donjon, & l’écrasa. On croyoit d’abord que M. Fouquet avoit péri ; mais ce qui l’avoit sauvé, c’est que dans le moment que le tonnerre tomba, il étoit à caresser son serin que l’orage effrayoit, & heureusement la cage étoit placée à la fenêtre pratiquée dans l’épaisseur de la muraille.

M. Fouquet fut alors transféré à la tout de Vigil, & de-là il eut plus d’élargissement.

À son départ, la garde fut diminuée de cinquante hommes.

Il y avoit en même temps dans le donjon l’homme au masque de fer, ou plutôt l’homme à qui M. de Saint-Marc fit faire un masque de fer, lorsqu’étant nommé au gouvernement des îles Sainte-Marguerite, il eut ordre de s’y transporter avec lui ; ce qu’il fit dans le plus grand secret, par des routes détournées, étant enfermé avec lui dans une litière.

Arrivé aux îles, M. de Saint-Marc eut ordre de faire bâtir, dans l’intérieur du fort, des prisons d’état séparées. Il les fit faire avec les plus grandes précautions, toutes en pierres de taille, & sans autre vue que sur la mer. Il n’y avoit que lui qui eût la clef de l’homme au masque. On n’ouvroit, pour lui donner à manger, que toutes les vingt-quatre heures. C’étoit ordinairement une poule bouillie & du rôti, avec du bon vin de Bourgogne. Les porte-clefs apportoient cela jusqu’aux environs de la porte, & un officier-major l’entroit dans la chambre, M. de Saint-Marc y étant toujours, & s’y tenant debout.

Ce qu’il avoit jeté par une fenêtre, & qu’un pêcheur rapporta au gouverneur, qui, à cette occasion, le tint au cachot pendant un an entier, encore sur l’assurance qu’il ne savoit ni lire ni écrire, étoit, à ce qu’on a su depuis, une soucoupe d’argent, armoriée. On mit sous les fenêtres une sentinelle, avec défense de laisser approcher qui que ce fût.

M. de Sommery avoit été nommé au gouvernement de la bastille ; mais comme cet emploi demandoit résidence, & qu’on le destinoit à être sous-gouverneur des enfans de France, on fit en sorte que M. de Saint-Marc permutât avec lui, moyennant cinquante mille écus que M. de Saint-Marc donna. Il fut question d’amener avec lui l’homme au masque.

La seule chose qu’on ait pu entendre dans la route, c’est qu’une nuit, pendant qu’ils étoient couchés en la même chambre, dans une auberge, l’homme au masque ayant fait sonner sa montre, qui étoit une répétition à timbre, dit à M. de Saint-Marc : Saint-Marc, quelle heure est-il à la tienne ? Et M. de Saint-Marc fit aussi-tôt sonner la sienne, avec plusieurs expressions fort respectueuses à cette occasion.

Il est certain qu’il y a eu un homme au masque de fer ; mais dans les îles Sainte-Marguerite il n’a jamais rien transpiré autre chose de lui que ces seuls détails. On renouvelloit tout son linge chaque année, & il étoit superbe. Point de ville en France, en Suisse, en Allemagne, où l’on ne m’ait demandé ce qu’étoit le masque de fer.