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Tableau de Paris/713

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CHAPITRE DCCXIII.

Cassette.


Il y a eu une cassette fameuse dont on a long-temps parlé, qui renfermoit, dit-on, (car que ne dit-on pas ?) des papiers instructifs & importans. On en nommoit le gardien, on en avoit suivi la marche progressive, & mille contes ridicules se sont mêlés à un filet de vérité.

Feu madame la dauphine chargea le père Élysée de faire l’oraison funèbre de son époux à Sens. Il eut beau alléguer que cela regardoit le haut clergé, que les évêques ne pardonneroient point à un pauvre moine d’avoir osé se charger de l’oraison funèbre d’un prince, il fallut obéir : & pour lui faciliter la besogne, madame la dauphine lui promit de lui faire remettre des matériaux par l’évêque de Verdun. Les matériaux lui furent envoyés ; & peu de temps après, étant allé dîner à Châtillon, il fut infiniment surpris, à son retour, de trouver sa porte forcée, une perquisition exacte, faite par la police, la serrure de son porte-feuille brisée, &c. On ne trouva pas ce qu’on cherchoit, & on ne lui enleva rien ; mais cela produisit un tel effet sur lui, que pendant des années il ne fut pas en état d’écrire une lettre, & que depuis cette époque il n’a pas fait un nouveau sermon.

Parmi la foule des curieux & des observateurs, il est impossible qu’il n’y ait pas des mémoires secrets, écrits par des témoins oculaires ; avec le temps on apprend tout, parce que la curiosité étant la passion éternelle de l’homme, déroule tous les plis du cœur des potentats, & de ceux qui ont influé sur les grands événemens. Mais l’histoire du siècle où nous vivons n’est faite que pour les siècles suivans. Nous voyons le jeu des décorations, mais le machiniste & ses poulies nous sont inconnus ; nous ne devinons pas ce qui est sous nos yeux ; les apparences nous en imposent ; & les générations qui nous suivront, seront tout étonnées de notre silence absolu sur des faits pénétrés alors de la plus grande clarté.

Nous possédons les mémoires manuscrits du duc de Saint-Simon sur le siècle de Louis XIV. Ils donnent de nouveaux apperçus ; le point de vue est tout différent de celui où s’étoit placé Voltaire. Il y a donc des gens nés avec l’esprit d’observation & de curiosité, qui sont sur les lieux, qu’on ne soupçonne point, & qui ont assez de sagacité pour découvrir l’intérieur, d’après quelques faits positifs. Ainsi, en voyant les matériaux épars d’un édifice démoli, l’œil vulgaire n’apperçoit que des ruines, tandis que l’architecte reconstruit le temple ; il ne lui faut que les proportions d’une colonne pour saisir la majesté de l’ensemble.

Sachons attendre ; il viendra quelque cassette qui dort actuellement dans un coin, & qui, semblable à la fusée obscure & immobile, s’élèvera dans les airs & illuminera notre atmosphère d’étincelles brillantes.