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Tableau de Paris/716

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CHAPITRE DCCXVI.

Tavaïolle.


Il faut que le pauvre soit baptisé comme le riche ; il faut qu’il aille à l’église ; mais le pauvre enfant n’a qu’une pauvre layette, plus triste que la nudité absolue. (C’est souvent le reste d’une vieille couverture que les vers ont dévorée à demi.) Que fait alors la sage-femme ? Elle enveloppe le corps de l’enfant d’une tavaïolle, grand linge de mousseline, qui cache le pauvre accoutrement. Nous avons parlé d’un cercueil bannal : la tavaïolle est une redingotte spirituelle, qui assiste à tous les baptêmes. La sage-femme fait payer la tavaïolle, de sorte que, sous ce linge, tous les enfans qui vont aux fonds-baptismaux, figurent à peu près de même. La tavaïolle est donc le principal meuble & le plus apparent d’une sage-femme. Si ce linge-là n’est pas sanctifié, il n’y en a point dans le monde ; car il lui arrive d’être béni jusqu’à quatre fois par jour.

On sait que les bonbons & les dragées accompagnent le plus petit baptême. La sage-femme ne manque jamais d’en emporter deux ou trois livres dans sa tavaïolle. L’armoire de telle sage-femme rivalise avec la boutique d’un confiseur de la rue des Lombards.

La layette du dauphin fut apportée en grande cérémonie à Versailles, par le nonce du pape, le mardi 7 janvier 1783. Elle étoit dans de superbes équipages ; & le carosse principal coûta, dit-on, 10,000 liv. de loyer pour cette cérémonie. On fait monter cette layette à environ 1,700,000 liv. La tavaïolle avoit été bénie par le saint-père ; & celle-là ne servira à personne.

Mais ce qu’il y a de touchant, je me plais à le répéter, c’est de voir le nom du dauphin inscrit sur les registres de baptême de la paroisse, à la suite du pauvre qui est né la veille. Si l’on a appelé un cimetière un cercle d’égalité, ces registres de baptême, qui rangent tous les enfans, à leur naissance, sur la même ligne, & les égalisent sous les yeux de la religion, ont quelque chose d’auguste & de philosophique, qui ne devroit jamais sortir de la mémoire de tous tant que nous sommes, avec d’autant plus de raison, que pareil registre attend tous les hommes au départ.

Louis XIV, à sa naissance, pesoit quarante-huit marcs. Anne d’Autriche envoya à Lorette sa figure en or, précisément du même poids. Comme l’enfant royal étoit venu au monde avec deux dents, la bouche de l’enfant d’or laisse appercevoir ces deux fameuses dents. Ce fut ainsi qu’Anne d’Autriche remercia la Sainte-Vierge de la cessation de sa longue stérilité.

Des femmes de qualité, & plusieurs autres dames dans le rang de l’opulence, ont employé depuis peu un genre d’aumône bien noble & bien touchant. Elles envoient aux pauvres femmes en couche, des layettes, des brassières, des bas tricotés. Elles ont souvent travaillé à ces pieux ouvrages. Oh ! que de bon cœur alors je leur baiserois la main ! Voilà de la charité ! Quand les femmes de qualité sont compatissantes, elles le sont d’une manière plus simple, plus vraie, plus sentimentale, que les bourgeoises ; elles n’y mettent point d’apprêt ; elles savent mieux soulager ; leur charité est tout à la fois plus noble & plus ingénieuse. Je me plairai à dire qu’il y a aujourd’hui beaucoup de femmes de qualité qui ne montent dans leur équipage que pour exercer, sans faste & sans ostentation, les œuvres d’une charité libérale & éclairée. C’est d’elles qu’on peut dire qu’elles sont pour les malheureux une secondé Providence.

Le sens du mot charité est d’une profondeur sublime. La charité est au-dessus de la bienfaisance. C’est sous l’œil de Dieu qu’on soulage son prochain comme son frère. Il y entre de l’adoration, du respect, du sentiment ; c’est l’amour de la créature, comme ouvrage du Créateur. Après le saint nom de Dieu, le mot charité est celui qui doit occuper le premier rang dans toutes les langues humaines.