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Tableau de Paris/724

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CHAPITRE DCCXXIV.

Abreuvoirs.


Les quais qui bordent la Seine, sont ouverts, en certains endroits, par des abreuvoirs, qui servent aux chevaux & aux bœufs ; mais il y arrive quelquefois des accidens, sur-tout dans les grosses eaux. Un cheval, attaché à plusieurs autres, s’avance trop avant, & le courant l’emporte. Les chevaux mal-adroitement attachés, se débattent, & plusieurs périssent.

Un bateau qui fermeroit le bassin, ou une balustrade, auroit prévenu ces dangers. Cette petite dépense est encore à faire ; & plusieurs chevaux se noieront, avant que le corps municipal songe à remédier à cet abus. Il n’y auroit rien cependant de moins dispendieux.

On en peut dire autant de ces malheureuses planches sur la rivière, où les porteurs d’eau vont remplir leurs sceaux quand les fontaines sont gelées. Il en périt plusieurs tous les ans. On les fait payer, & on a la cruauté de ne pas disposer quelques planches & quelques gardefous, qui mettent la vie de ces malheureux en sûreté.

Les porteurs d’eau observent régulièrement leur tour, lorsqu’ils vont puiser, soit à la fontaine, soit à la rivière ; ils sont plus polis & plus judicieux que certains auteurs qui cherchent à empiéter sur leurs camarades, en faisant passer leurs pièces avant leur tour.

Il est défendu à toutes personnes de se baigner dans la rivière, & de la traverser à la nage, afin de ne pas blesser la décence publique. Aussi-tôt qu’il s’en trouve, la garde des ports accourt, & saisit les hardes. Souvent plusieurs jeunes garçons poursuivis, au lieu de revenir au rivage, se sont jetés dans le courant, & ont péri en voulant passer de l’autre côté ; le tout pour éviter la garde & ses bourrades.

Ne seroit-il pas utile d’établir de larges places de sûreté, où les pauvres & les gens du peuple se baigneroient, & s’exerceroient à nager. Ces gens du peuple, qu’on empêche de se baigner sur les bords de la Seine, vont hors de la ville, sur des bords déserts ; & là, ne trouvant plus de secours, en cas de danger, ils s’y noient plus facilement qu’au milieu de la ville. Des places de bains, où l’on pourroit avoir un espace suffisant, & chacun son courant d’eau, vaudroient infiniment mieux que ces petits endroits resserrés, où tous les corps nus sont sous la même toile. Le bas peuple de Paris a plus besoin d’être décrassé que tout autre au monde. Flava me rigat Sequana. Cette inscription de la capitale sera-t-elle toujours en pure perte ? Un fleuve jaune se présente, & coupe en deux la ronde cité, comme pour laver les vieilles souillures parisiennes.

On vient d’établir une école de natation ; c’est une partie essentielle de l’éducation. Combien d’hommes ont péri, faute de savoir nager ? On doit cet établissement patriotique à M. de Caumartin.

J’ai visité les bains du peuple : ils sont incommodes, & même dangereux ; le fond de la rivière n’est pas seulement nettoyé ; il est plein de cailloux, de moules, de plantes, & souvent de tessons, qui vous coupent les pieds ; une mauvaise toile, tendue sur quatre mauvais pieux ; une échelle mal assurée, & sur laquelle on descend avec autant de fermeté que d’autres montent au gibet ; tels sont les bains publics qu’on ne pourra certainement pas comparer avec ceux des Romains.

Si chaque prévôt des marchands créoit un nouvel établissement populaire, & d’un genre utile, il s’honoreroit, & laisseroit moins à faire. On doit à M. de la Michaudière, d’avoir projeté le boulevard de la porte Saint-Antoine, garni de fossés, où l’eau séjournoit huit mois de l’année, & étoit nuisible à ce quartier ; on lui doit l’élargissement de la place de Grève, qui, trop angustiée, faisoit la honte & la confusion de la ville. On lui doit encore tout le bel établissement en faveur des noyés : la boîte fumigatoire a sauvé la vie à nombre de personnes. La garde de Paris sait s’en servir avec beaucoup d’adresse & de succès, tandis que les Suisses grossiers, sur les bords de leurs lacs, n’ont jamais pu imiter cette manipulation aisée. Ils attribuent à la qualité des eaux, ce qui est le produit de leur inhabileté.

Tout ce qui concerne la navigation de la Seine, est du ressort de la police municipale ; or elle s’étend jusque sur les rixes qui se passent sur les ports ; il y a même une prison, où l’on enferme ceux qui commettent des délits sur les bords de la rivière.