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Tableau de Paris/725

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CHAPITRE DCCXXV.

Trouveur.


Cest un métier à Paris. Le trouveur se lève le lundi de grand matin, parce que la foule s’est promenée le dimanche. Il va battant les chemins, les boulevards, les routes fréquentées ; il a un coup-d’œil particulier pour distinguer de loin ce qu’on a laissé tomber. Son regard rase incessamment la terre : vous passez auprès de lui, il ne vous apperçoit pas ; mais il distingue une clef de montre que la poussière couvre à moitié ; il voit des deux côtés, & presque derrière sa tête. Notre œil a huit muscles ; les huit muscles de cet homme travaillent, le long des routes, avec une mobilité surprenante. Il marche hâtivement, comme pour aller au-devant de l’objet qu’il cherche, il ramasse vite ce qu’il trouve, & paroît prendre une chose qui lui appartient, tant il y met de célérité & d’assurance.

Les premiers rayons du jour éclairent ses attentives recherches ; & quand le soleil se montre, il n’y a plus rien à rencontrer sur ses traces.

Une multitude immense laisse toujours tomber quelque chose ; le trouveur le sait par expérience. Le lendemain d’une revue, d’une fête publique, vous le rencontrerez sur le terrein ; & c’est un proverbe à Paris, qu’un homme seroit très-riche de ce qui se perd en minuties.

Mais la garde de Paris rapporte fidèlement ce qu’elle trouve ; elle ne se l’attribue pas, comme fait le trouveur. Que ne fait-on pas des hommes ? Un soldat ramasse, dans les ténèbres, une montre, une canne à pomme d’or ; elle est remise au dépôt, comme s’il l’avoit ramassée en plein jour. Les fiacres restituent ce que les distractions & la négligence ont oublié dans leurs voitures. Les ouvreuses de loges remettent ce qu’elles trouvent. Il y a le point d’honneur, qui en général meut la nation, & qui influe dans les dernières classes.

Mais le trouveur n’est pas susceptible de cette délicatesse. Ce n’est point un escroc, ce n’est point un filou ; cependant il marche immédiatement après eux. Il dit que c’est la Providence qui lui envoie ce qu’il trouve ; enfin, il s’imagine que c’est une profession, parce qu’il précède l’aurore, & qu’il rend quelquefois, par pudeur, un bijou de grand prix, qu’il n’ose s’approprier. Voilà une vertu, qui chez lui, comme chez les autres hommes, sert à lui déguiser les autres délits sur lesquels il s’aveugle.

Mais revenons à l’œil exercé du trouveur. L’œil exercé, dans toutes les professions, voit à travers l’écorce ; par exemple, sous la grande parure, la parure endimanchée d’un artisan, l’œil exercé le distingue de ceux qui ont toujours joui d’une vie douce & aisée. Les travaux rudes, en tiraillant perpétuellement ses muscles, lui ont ôté les belles formes, & l’ont rendu contrefait à trente ans. Les premiers mouvemens ne se perdent jamais. L’homme qui écrit, a l’épaule droite un peu plus haute que la gauche. Voyez la main d’un peintre ; son pouce gauche sera renversé. Le marchand enrichi se destine toujours un peu, comme s’il tenoit encore une aune.

En entrant dans un café, l’œil exercé voit, à la courbure du dos, que les habitans de ce lieu s’y ennuient : l’insipidité du jeu qu’ils exercent, se peint sur leur visage. Le chien qui chasse dans une plaine, le cheval qui galope en liberté dans une prairie, me semblent plus beaux que l’homme qui joue au domino avec réflexion.

Enfin, l’œil exercé de l’exempt découvre un fripon ; le commissaire distingue celui qui ment ; l’inspecteur odore un filou. Ainsi chaque science a ses observations fines & particulières.

Qui peut calculer ce qui résulte du commerce fréquent avec les autres hommes, & tout ce qu’on y apprend ? Il y a une chose vraie, c’est qu’on ne devine rien ; il faut voir pour juger sûrement. Les faits ! les faits ! voilà sur quoi il faut baser ; c’est du sein des faits, & non de celui des conjectures, que les idées les plus inattendues prennent naissance ; ainsi des mélanges chymiques produisent, par la fermentation, de nouveaux êtres.