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Tableau de Paris/727

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CHAPITRE DCCXXVII.

Incendie.


Le feu prend dans un des quartiers de la ville ; une femme désespérée crie : Mes enfans ! mes enfans ! C’est un homme du peuple qui répond : Où sont-ils ? où sont-ils ?… Par-delà cette porte embrasée. L’homme du peuple s’élance à travers le feu, apperçoit une porte fermée, l’enfonce, trouve deux enfans presque suffoqués, les prend dans ses bras, traverse de nouveau le brasier, & les rend à leur mère.

Qui a fait cette belle action ? un perruquier ! Et l’orgueil ne voudroit pas qu’on la célébrât !

Les secours, pour les incendies, sont prompts, & le plus souvent-bien dirigés ; mais il y a un grand abus qu’il est nécessaire de réprimer. Dans les incendies, le guet se croit en droit d’arrêter brutalement tous ceux qui passent ; alors il fait la presse d’Angleterre ; & cela devient pour lui un amusement. Ces fusiliers poursuivent, frappent ; on les a vu manquer de respect à des hommes libres, dont la décoration & l’âge annonçoient des fonctions magistrales.

Chacun doit se prêter à sauver l’édifice du feu ; mais ce n’est pas la confusion que cause leur brutalité, qui opérera quelque secours. La violence subite de cette soldatesque insolente, qui se croit autorisée à un pareil délit, mérite d’être réprimée ; car elle porte un caractère d’audace & de violation de toute sûreté personnelle.

Un convalescent, un homme d’affaires, un vieillard, sont-ils faits pour se trouver entre les mains de ce guet, qui, institué pour veiller à la sûreté publique, se fait un jeu, dans ce moment, d’insulter aux plus honnêtes gens ? il métamorphose la calamité en une véritable farce : & rien n’est plus indécent, comme rien n’est plus criminel que cet attentat envers le public. De tels travaux doivent être volontaires, afin qu’ils soient efficaces ; mais traîner de force & avec dérision, des hommes dont la santé & les occupations se refusent à tout effort, c’est un oubli coupable de l’ordre & de la décence. Cet ordre insensé & brutal, donné le plus souvent par un petit chef ignare & barbare, m’a toujours révolté ; & j’ose dire que l’indignation que j’en ai ressentie, m’a mis à deux doigts d’une action qui auroit pu influer cruellement sur le reste de ma vie.

J’avois vingt-deux ans ; j’étois en habit noir & en cheveux longs ; on me planta de force près d’un baquet & d’une grande marre d’eau ; & les soldats du guet s’amusèrent beaucoup des seaux d’eau qui couloient sur ma chevelure, & de ma grande colère, qui s’exhaloit en une harangue qu’ils n’écoutèrent pas. Furieux, je pris à la gorge le sergent ; & me débattant avec lui, je fus assez heureux pour qu’il tombât sous moi. Une baïonnette, que je saisis en me relevant, intimida son lâche camarade ; & je m’échappai à travers la file, qui s’ouvrit devant moi. J’aurois pu alors frapper un de ces savetiers portant le fusil, & ma vie entière étoit empoisonnée par ce malheur. Le sergent que je terrassai fut blessé, & moi je souffris, de cette même chûte, pendant plus de deux années.

Selon l’édifice qui brûle, le peuple se porte de lui-même avec plus ou moins d’intérêt ; mais il est constant que ce n’est point le nombre d’individus, mais l’adresse des secours qui arrête le danger. Pourquoi donc troubler toute une ville, quand quelques pompiers suffisent ?

Lors de l’incendie de l’opéra, cette haute flamme, qui, au milieu de la nuit, léchoit les cieux, pour me servir de l’expression de Virgile, ces nuées d’étincelles de toutes couleurs, ces réverbérations scarlatines, illuminant les tours & les clochers de la ville, furent vues à plusieurs lieues de distance. Le peuple de la campagne, saisi d’effroi, regardoit ; mais lorsqu’il apprit le lendemain que c’étoit une salle de spectacle qui avoit brûlé, il ne s’en affligea guère, & même il en rit : car les cultivateurs n’ont aucun point de communication avec les héros & les bergers d’opéra ; & l’homme du peuple a une manière d’observer & de sentir qui lui est particulière : c’est une toute autre perspective.