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Tableau de Paris/730

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CHAPITRE DCCXXX.

Plumasserie.


Cet art appartenoit presqu’exclusivement à la décoration des temples ; c’étoit le principal ornement des rois, des princes, des ambassadeurs, & des comédiens qui les représentent ; le peuple voyoit avec respect les plumes flottantes qui couronnoient le dais dans les processions publiques. Tout-à-coup les femmes se sont emparées de tous ces ornemens consacrés à la royauté & à la divinité ; elles ont placé, sur leurs têtes, les plumes du dais devant lequel le peuple s’agenouille. Les plumassiers ont fait fortune. Les maris ont eu à payer un nouveau luxe : & comme il ne reste rien de cette fantaisie coûteuse, les femmes y ont été d’autant plus attachées.

Aux promenades, elles se rassemblent en grouppe, dans de hautes voitures découvertes, que six coursiers emportent. Leurs têtes emplumées offrent de loin une ondulation brillante ; mais une pluie survient, & ces plumes colorées, qui jouoient avec les zéphyrs, tombent, s’affaissent, & impriment à la figure de toutes ces femmes la triste image de poules mouillées. On les applaudissoit au passage, on est tenté de les huer au retour ; elles cachent leurs têtes, naguère superbes, & paroissent aussi humiliées que si elles étaient rasées. Il s’est perdu dans ces courses pour vingt mille écus de plumes flottantes ; eh bien, payez, maris, payez ! Votre fortune dépend de l’abaissement d’un nuage ; commandez aux rayons du soleil, ou bien ouvrez votre bourse, & de bonne grâce encore ! Quoi ! chaque plume ne coûte que cinq louis d’or !

Les poètes n’ont pas manqué de célébrer cette mode : les uns ont fait des railleries, d’autres ont créé des allusions malignes ; mais les femmes sont devenues insensibles à toutes les épigrammes ; elles se satisfont, & laissent dire.