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Tableau de Paris/733

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CHAPITRE DCCXXXIII.

Époux, Maris.


Il me semble que l’on emploie trop souvent à Paris le mot époux. À la cour de Versailles, & à celle de Lunéville, ceux qui les ont fréquentées, ont toujours ouï dire mari, au lieu d’époux. Chez le bourgeois, c’est tout le contraire ; on dit, monsieur votre époux, madame votre épouse. Quand je dis à la femme d’un marchand ou d’un commis : comment se porte votre mari ? elle s’imagine que je lui parle grossièrement. Bientôt il faudra leur parler à la troisième personne.

Lorsqu’une petite bourgeoise dit, mon époux, au lieu de mon mari, elle croit annoblir celui à qui elle est conjointe. Le mari, de son côté, n’ose plus dire, ma femme ; il appelle sa servante, mademoiselle, & sa porteuse d’eau, madame. Il se renfle dans son domestique, tant qu’il peut. C’est pour avoir entendu des tragédies, qu’il a substitué le mot d’époux à celui de mari ; mais les époux ne s’aiment plus, & les maris s’aimoient encore autrefois.

Je me rappelle un dialogue de Vulcain avec Vénus. Cet époux infortuné, loin de se plaindre avec sa femme, lui demande pardon de ce qu’il est boiteux, enfumé, aussi laid qu’elle est belle ; il avoue qu’elle a eu raison de lui préférer Mars, Adonis, & compagnie ; il convient de bonne foi que s’il avoit eu les agrémens, le mérite de ces seigneurs-là, elle lui auroit accordé la préférence sur eux.

Vulcain étoit de la pâte de nos maris débonnaires. Ceux-ci parlent à peu près de même ; mais il y a sans doute quelques avantages, & quelqu’un a fort bien dit : Presque tous les maris des jolies femmes sont des sots ; & cependant ils sont tous en place.

Soyez aimable, ayez du génie, occupez toutes les bouches de la renommée ; tout cela ne fera rien, ou peu de chose, pour la femme dont vous serez le mari.

Antagoras est le maître de disposer d’un emploi ; l’accordera-t-il à la vertu qu’il ne veut pas connoître, au mérite qu’il envie & qu’il hait, à la misère qu’il déteste ? Non ; l’emploi est à vendre au plus offrant & dernier enchérisseur, à la recommandation d’une de ces femmes, qui passent les jours à demander, & les nuits à accorder.

Autour du plafond de la comédie française, on voit les signes du zodiaque ; on ne sait pourquoi le peintre a eu cette idée. Dans une petite loge, au quatrième, un pauvre époux se trouvoit précisément sous le ligne du capricorne, qui dominoit sur sa tête en ligne perpendiculaire ; & les regards de se tourner sur lui, & les épigrammes de circuler : on en parla pendant trois jours. Depuis, ce temps-là, tout mari, quand il monte aux quatrièmes loges, a soin de tourner ses regards sur le plafond, & d’examiner sous quel ligne le hasard l’a placé.