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Tableau de Paris/735

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CHAPITRE DCCXXXV.

Hôtel des Monnoies.


Cest un vaste monument, construit sous le règne précédent, & dont la position réunit la commodité publique à la décoration du plus beau quartier de la capitale.

Ce superbe hôtel est destiné à la fabrication des espèces d’or & d’argent, de billons & de cuivre, & en logement pour les officiers préposés à remplir les fonctions de leur état.

Sous l’entrée du péristile on voit, à droite, un superbe escalier, orné d’un goût magnifique, qui conduit au sallon destiné à l’école de minéralogie, dont M. Sage, de l’académie des sciences, & mon ancien camarade d’étude, est nommé professeur.

Rien ne peut égaler le goût exquis & l’élégance que M. Anthoine, architecte, a mis dans la décoration de ce sallon, qui sert ensemble & de laboratoire pour les expériences de chymie, & de dépôt précieux des morceaux de mines en tout genre, exposés à la vue de tout le monde, & classés dans un ordre admirable.

Cet établissement a pour objet, outre les tours publics, que l’on donne trois fois la semaine, de former douze jeunes gens, dont les mœurs sont connues, qui apprennent l’art d’exploiter les mines, la connoissance de la minéralogie & architecture souterraine.

En traversant sous le péristile, qui forme l’épaisseur du principal corps de l’édifice, on entre dans une grande cour, qui conduit dans les différens laboratoires destinés à là fabrication des monnoies.

Là, des hommes en guenilles & en chemises trouées, ayant l’air des pâles enfans de la famine, sont couler des fleuves d’argent ; on croiroit voir les mines du Potosy mises en fusion par un volcan.

Au milieu des branches de ces métaux tentateurs, il faut que ces malheureux ouvriers résistent à la plus forte des tentations ; qu’ils manient incessamment l’or, & qu’aucune parcelle ne reste égarée entre leurs mains ; car la potence est là toute prête. Quel spectacle pour un avare que ces ramifications métalliques, qui offrent de tous côtés de véritables barres d’or & d’argent ! On marche sur les lingots sortis du creuset, & encore tout brûlans ; ils vont former ces pièces de monnoie, que chacun se dispute, depuis le monarque jusqu’au savetier.

Le monnoyage, qui couronne les autres travaux, est un des principaux laboratoires dans lequel sont placés neuf balanciers, qui, dans une action perpétuelle, étonnent par la rapidité avec laquelle on frappe les monnoies. C’est un pauvre diable à moitié nu, l’air hâve, & le visage décharné, qui fait un double louis au front large & superbe ; il en fait des milliers, & il n’en a jamais un seul dans sa poche.

J’ai regret que l’on n’ait point fait usage de l’invention du sieur Droz de Neuchâtel, graveur intelligent. Il avoit perfectionné une machine qui, d’un seul coup de balancier, marquoit la pièce & la tranche en même temps. Elle avoit la double utilité d’offrir une monnoie d’une beauté parfaite, & de déjouer les faux monnoyeurs, qui se seroient trouvés dans l’impossibilité de l’imiter. Ce dernier avantage est bien supérieur à l’autre ; car il n’y a rien de plus rare & de plus heureux en politique, que de pouvoir prévenir & épargner le crime à des malheureux.

Sous le ministère de M. de Calonne, l’administration ordonna la refonte des anciens louis, le prix de l’or étant augmenté depuis plusieurs années dans le commerce. La proportion du marc d’or au marc d’argent étant restée la même en France, & n’étant plus relative aux autres pays, cela avoit occasionné la rareté de l’or, en sorte que les orfèvres se permettoient, au mépris des ordonnances, de fondre les louis. On les fondoit sous mes yeux, par tas, dans les montagnes de Neufchâtel, pour en faire des boîtes de montre.

La refonte ordonnée, l’ancien louis d’or gagnoit un trente-deuxième. Aussi-tôt tous les louis encoffrés, & qui dormoient depuis cinquante ans sans avoir vu le jour, reparurent à la clarté du soleil. On les porta en foule par l’appas du bénéfice ; plusieurs furent tardifs & paresseux, enfoncés & scellés qu’ils étoient par une main avare ; mais ils suivirent enfin leurs frères ; presque tous se montrèrent, & l’espèce d’or monnoyé surpassa de beaucoup les calculs des administrateurs.

On thésaurise donc, & l’inquiète prévoyance, qui rejette toute spéculation, aime mieux garder l’or que de le livrer à la circulation. On vit une infinité de louis qui avoient soixante ans, & qui étoient encore neufs & brillans de jeunesse. Le paysan, dès qu’il a quelques louis, les enseveli dans un coin. Jamais un paysan ne paie en or ; il paie en argent sa taille & les impositions royales. Jamais un paysan ne Vous donnera un louis d’or pour quatre écus de six livres. Ainsi font les vieilles tantes, les oncles grondeurs, les filles décrépites. Tout ce qui est septuagénaire, rassemble l’or, parce qu’il se cache, qu’il se transporte. Enfin, il paroît que, malgré la commotion universelle, tous les louis ne sont pas encore sortis de leurs ténébreuses retraites.

On peut bien penser que l’agiotage ne resta pas en arrière, & les bras croisés, pendant ce grand mouvement. Des courtiers se promenoient avec des sacs d’argent, qu’ils faisoient sonner, & vous disoient, au bas du pont-neuf, & tout le long du quai : Vendez-nous vos louis d’or.

Mais point de succès brillans sans revers. Bientôt l’étranger ne voulut recevoir que pour vingt-deux livres dix sous notre louis. Puis il le portoit finement à Strasbourg, & là il l’échangeoit contre quatre écus de 6 livres.

Au lieu de cette opération, qui alarma le commerce, & qui lui porta atteinte pendant quelques mois, n’eût-on pas mieux fait, pour simplifier les choses, de porter le louis d’or à vingt-cinq livres ? Cet arrangement auroit satisfait tout le monde.