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Tableau de Paris/739

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CHAPITRE DCCXXXIX.

Whiski.


Hautes voitures imitées des Anglais. Elles sont, sur le pavé de Paris, incommodes, meurtrières, dangereuses, même pour celui qui les mène ; car elles vomissent souvent leur conducteur, à raison de leur forme & de leur élévation.

Les délits commis dans l’ivresse, ne doivent point exciter l’indulgence. La loi pourroit prendre pour règle l’ordonnance de Pytacus, qui punissoit deux crimes dans un coupable ivre, le crime de l’ivresse & celui qu’il a fait commettre.

Que dirons-nous donc de ces forfaits commis avec réflexion, avec jactance, de cette inhumanité barbare, qui, pour épargner la minute d’une heure consacrée à là débauche, se fait un jeu de blesser, d’écraser ? Comment parlera-t-on de loix, lorsque la plus facile, la plus nécessaire à publier, n’est pas encore sortie de notre police ? Les whiski, les cabriolets & les voitures coûtent la vie à près de deux cents hommes ; & la législation si volumineuse sur l’article des impôts, ne s’éveilleroit pas sur ces barbaries de quelques riches ? La sûreté personnelle n’est-elle pas encore plus précieuse que la liberté politique ? Et qu’importeroit une législation, grande & majestueuse, (qui ne seroit, pour ainsi dire, qu’une décoration extérieure) si le pavé d’une ville superbe étoit journellement rougi du sang des citoyens ? Cette ville magnifique ne seroit-elle pas alors déshonorée par ces actes de cruauté & d’invigilance ?

La surveillance publique n’est-elle pas enfin la loi indispensable ? Et les assassins, qui cachent leur poignard, & qui attendent les ténèbres, font moins de mal que ces libertins montés dans leurs whiski, roulant le meurtre & l’audace sous l’œil du jour, & devant une police impuissante.

Nos murailles offrent une multitude de sentences sur des abus de peu d’importance, & presque inséparables d’une nombreuse population ; & voici qu’on laisse à des fous barbares la permission de marcher sur les femmes, sur les enfans, sur les vieillards, pour peu qu’ils barrent le chemin par où ces impudens s’énorgueillissent de passer avec rapidité, pour arriver plutôt au sanctuaire de leurs plaisirs. Une loi, qui feroit cesser cet opprobre & ce scandale, est-elle donc si difficile à obtenir ? Et point de semaine qui ne voie éclorre un réglement, une ordonnance, un édit ! Comment la puissance, qui fait tant de choses, ne descendroit-elle pas à prévenir ces meurtres, qui se renouvellent au milieu des plaintes de l’humanité ?

Je ne dirai point que le fantassin a le droit de percer ces bourreaux ambulans ; toute vengeance est illicite ; & le sang ne rachète point le sang ; mais il seroit à propos que le peuple fît descendre un de ces malheureux étourdis, quand il auroit poussé ses chevaux avec une vélocité barbare, dans des rues fréquentées, & qu’il mît en pièces son cabriolet ou son whiski.

Un whiski, le jour de Pâques 1788, a écrasé, en un clin-d’œil, une femme & un prêtre. J’ai été témoin de l’affreux accident. Je le répète : la capitale est déshonorée par cette indifférence pour la vie des citoyens. On a purgé la ville d’assassins ; mais l’assassinat commis par un homme monté dans un haut cabriolet, diffère-t-il d’un coup de poignard ? Le poignard est plus doux que les roues dentellées d’une voiture, qui vous laissent quelquefois un reste de vie pour souffrir des siècles. On peut échapper à des voleurs-assassins, en se tenant sur ses gardes ; on ne sauroit échapper à ces riches inhumains qui vous passent sur le corps, tandis que vous allez dans les rues pour vaquer à vos affaires.

Le lendemain de la presse effroyable dont nous avons parlé dans les premiers volumes de cet ouvrage, le public fantassin, à la vue des cadavres, menaçoit de l’œil & du geste les cochers ; car les voitures avoient occasionné une grande partie du désastre. Les gens à équipages baissoient les yeux dans leurs carrosses, &, pendant un mois, l’allure des chevaux fut modérée.