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Tableau de Paris/740

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CHAPITRE DCCXL.

Orthographe du beau monde.


Cest, sans doute, sur les enseignes de Paris que les belles dames & les grands seigneurs apprennent l’orthographe. L’écrivain des charniers la sait un peu mieux. Ces chevaliers de l’écritoire sont toujours les confidens des servantes, qui sont plus véridiques dans la boutique de l’écrivain que dans le confessional.

Il y a toujours le style à quatre sous, six sous, douze sous & vingt-quatre sous. Le style à quatre sous & six sous, est annexé aux lettres des cuisinières, tandis que celui de vingt-quatre part, plane & s’élance jusqu’au trône. Celui de douze est pour le petit bourgeois & le gentilhomme provincial. Mais depuis qu’on débat les matières politiques, une foule de copistes sont dépositaires des projets restaurateurs de l’état. Tel veut régir la France dans un registre à partie double, comme on fait dans une boutique de la rue Saint-Denis ; l’arithmétique y brille plus que l’orthographe. Mais un futur contrôleur-général (tous aspirent à l’être) a-t il besoin de savoir la langue ? quand il voudra écrire, n’aura-t-il pas secrétaires, commis, & le coloriste ? Ces copistes rectifient les fautes d’orthographe des administrateurs du royaume, mais leur doctrine malheureusement se borne là. Nos jolies femmes regagnent en esprit & en légéreté ce quelles n’ont pas en orthographe ; elles s’en passent, & n’en manient pas moins la langue avec une grace infinie, tandis que les lourds grammairiens ne savent pas répondre à une lettre. Un maréchal de France en gagne-t-il moins une bataille, parce qu’il ne sait pas l’orthographe ? il n’en a pas même besoin pour faire des vers, & pour être de l’académie. Concluons que l’orthographe est la chose du monde la plus inutile pour le feu des idées & les charmes de l’élocution. Ainsi le fameux Dupré savoit danser & ne savoit pas marcher. Ainsi tel auteur sait écrire & parle mal. Une boutique n’en est pas moins achalandée pour offrir une orthographe vicieuse ; une femme n’en est pas moins adorable pour mettre une s à la fin d’un je vous aime.