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Tableau de Paris/755

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CHAPITRE DCCLV.

Imprimerie.


Rien de plus destructeur qu’une imprimerie ; elle ébranle une maison jusque dans ses fondemens. Les coups redoublés & la pesanteur d’une presse endommagent un plancher, tel fort qu’il soit : ce qui fait que beaucoup de personnes ne se soucient pas, sur-tout à Paris, de louer une maison à un imprimeur ; car il est prouvé qu’une imprimerie, dans une maison neuve, la met, au bout de dix ans, au niveau d’une bâtie trente ans auparavant.

N’est-ce point là une image de la force morale de l’imprimerie ? Elle ébranle les préjugés ; elle démolit le vieux temple de l’erreur ; elle abat les masures des siècles, leurs loix usées & impertinentes.

On abuse sans doute de cet art utile ; mais de quoi n’abuse-t-on pas ? La boussole, qui n’eût dû servir qu’à rapprocher les peuples, qu’à les lier ensemble, la boussole leur sert à promener leur fureur. La poudre à canon, au lieu de faire la guerre aux bêtes malfaisantes, sert à écraser les villes & à exterminer les hommes. Le temps du moins nous venge d’un sot livre ; & la raison reprenant tous ses droits, l’envoie du magasin chez l’épicier.

Les rois sont devenus auteurs, & auteurs volumineux. Les édits, ordonnances, déclarations, &c. de Louis XIV & de Louis XV, forment plus de quarante volumes in-folio. Une seule feuille d’impression rapporte au souverain plusieurs millions ; mais il ne dépense plus rien pour mettre sous presse. Le directeur de son imprimerie rend encore 15 000 liv. par an au trésor royal.

Quand les rois impriment, leur imprimerie est bien gardée ; on ne leur vole pas leurs feuilles pour les contrefaire ; rien n’échappe, rien ne transpire ; ordinairement les ouvriers ne sortent pas. Mais l’imprimerie a une telle tendance à la publicité, qu’il arrive quelquefois qu’on connoît la nature de l’ouvrage royal, & que, malgré les doubles sentinelles & les barrières impénétrables, une feuille se glisse au dehors, & une fois échappée, c’est assez pour remplir l’univers. L’imprimerie est comme le feu électrique qu’on ne peut enchaîner qu’un instant, & qui revoie sans ceste à l’espace.

Béni soit l’inventeur des lettres & de l’écriture ! mais béni soit sur-tout l’inventeur de l’imprimerie, qui propage les grandes idées & les belles images ! Avant l’imprimerie, les livres étoient plus rares & plus chers que les pierreries. Nos aïeux ne lisoient point ; aussi étoient-ils féroces & barbares. On ne lit que depuis François Ier. Aujourd’hui vous voyez une soubrette dans son entre-sol, & un laquais dans une antichambre, lisant une brochure. On lit dans presque toutes les classes, tant mieux ! Il faut lire encore davantage. La nation qui lit, porte en son sein une force heureuse & particulière, qui peut braver ou désoler le despotisme, parce que rien n’est si contraire, si opposé au despotisme, qu’une raison sage & éclairée. Hé ! le moyen qu’un homme instruit de sa grandeur & de ses droits, puisse jamais se résoudre à devenir un vil esclave !

Jadis les Hollandois, aujourd’hui les Suisses, vendent & impriment les disputes théologiques, politiques & littéraires de toute l’Europe, & s’embarrassent fort peu quelle opinion doit dominer.