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Tableau de Paris/762

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CHAPITRE DCCLXII.

Le Cachot noir.


On veut vivre jusque dans les cachots, puisque l’on vit dans le cachot noir de Bicêtre. L’homme privé de l’air, privé de la lumière, résiste aux tourmens de la solitude, de l’ennui & des ténèbres. Il cherche encore, dans cet état des tombeaux, à échapper aux traits de la mort. Les douleurs n’éteignent point en lui l’amour de la vie. Isolé dans son affreux cachot, il voit l’univers circonscrit à son foyer humide & ténébreux ; & tout enterré qu’il est, il a peur d’achever sa misérable carrière.

Ces cachots souterrains existent. Des piliers percés obliquement permettent au jour d’entrer ; mais quel jour ! Quand on fait sortir un prisonnier du cachot noir, il chancèle comme s’il avoit bu, dès qu’il est à l’air libre. L’air pur l’enivre ; & c’est l’observation qu’on fit faire à M. Necker, lorsqu’il se trompa sur la cause de la titubation du malheureux. Les geoliers crient alors qu’il faut remettre le prisonnier dans un cachot un peu moins obscur, afin qu’il ne perde pas la vie ; ce n’est que par une gradation de cachots qu’il peut échapper à la mort.

Et ce cachot est ordinairement une grace que l’on fait à un criminel qui, dans son souterrain, ne jouit pas même en liberté de l’espace qu’il occupe, parce qu’il est souvent attaché à la muraille par une lourde chaîne. Quelle grace !

En finissant ce chapitre, je me suis tristement convaincu qu’il y avoit encore quatre ou cinq prisonniers enfermés dans ces cachots, où il faut descendre avec des flambeaux, & où il n’y a ni air ni jour. En style de Bicêtre, on appelle ces malheureux, les cachotiers.

Outre Bicêtre, Charenton, &c. la police a plusieurs maisons de force ; elle en a fait une du château Charollois à la Nouvelle-France, une autre à Montrouge. La plupart de ces emprisonnemens sont hors de la loi ; mais ils n’en sont pas moins nécessités souvent par les circonstances, & ils deviennent un arrêt de famille. Les maniaques, les insensés, les violens étourdis, &c. feroient une infinité de maux dans la société, avant que les loix ordinaires puisent les réprimer. L’abus est tout, à côté de ce terrible pouvoir ; mais aussi, que de délits qui exigent tout à la fois une force réprimante & de la célérité !