Tableau du royaume de Caboul et de ses dépendances dans la Perse, la Tartarie et l’Inde/Tome 2/Langue des Afghans

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LANGUE DES AFGHANS.

J’ai déjà dit que l’idiome de ce pays s’appelle langue Pushtou. Il n’est pas aisé d’en découvrir l’origine. Une grande partie des mots qui la composent dérive de racines inconnues ; il en est cependant qui viennent évidemment du sanscrit, tels que les noms de père, de mère, de frère, de sœur, et les nombres. La plupart des verbes et des particules n’ont de rapport avec aucun idiome. Les termes qui concernent la religion, le gouvernement et les sciences, viennent presque tous de l’arabe et du persan. Enfin il s’y trouve des expressions de l’Indoustan, d’autres arméniennes, géorgiennes, hébraïques ou chaldaïques.

Les Afghans font usage de l’alphabet persan, et décrivent généralement en caractère nousk. Comme ils ont des sons qui ne sont pas exactement représentes par les lettres persanes, ils y ajoutent des points ou autres signes diacritiques.

Le pushtou, malgré sa rudesse, est une langue énergique et ne déplaît pas aux oreilles familiarisées avec les idiomes orientaux. Les dialectes de l’est et de l’ouest diffèrent non-seulement par la prononciation, mais par les mots eux-mêmes. La différence n’est pas moindre qu’entre le patois écossais et l’anglais.

Aucun de leurs fameux auteurs ne remonte à plus d’un siècle et demi, et je ne crois pas qu’ils aient un seul livre de plus de trois cents ans de date. Toute leur littérature est empruntée des Persans, et les compositions du pays sont faites d’après ces modèles.

Le plus populaire de tous leurs poëtes est Rehmaun qui, dans ses odes, a imité celles des Persans. Koushhaul me paroit cependant un poëte supérieur à Rehmaun ; ses productions sont plus régulières, quoique parfois prosaïques.

Ce Koushhaul étoit khan de la tribu des Khoultouks, à l’orient de Peshawer. Il passa toute sa vie à combattre le Grand-Mogol Aureng-Zeb, et à exciter, par ses poésies, ses compatriotes à défendre leur indépendance. À la mort de son père il devint khan de sa tribu, et commanda à trente mille hommes. Fait prisonnier par Aureng-Zeb, il fut conduit dans l’Inde, et resta trois ans enfermé dans la fameuse forteresse de Givalior. Pendant sa détention, il composa sur ses malheurs une élégie qui se termine par ce trait énergique :

Au milieu de ces calamités, je rends grâce à Dieu de deux choses :
La première d’être né Afghan, et la seconde de me nommer Koushhaul.

Parmi les poëtes de cette nation je ne dois pas oublier Amed-Shah, sur lequel Khauni-Ouloum a publié un laborieux et volumineux commentaire.

Les prosateurs n’écrivent guère que sur la théologie et la jurisprudence ; cependant il existe aussi des historiens. Le Persan étant plus communément employé dans les compositions littéraires, il y a très-peu de livres en langue pushtou.

Quand un savant en rencontre un autre, il lui demande quelles sciences il a étudiées. Celui-ci répond : J’ai appris telle et telle science, et j’ai lu tels et tels livres ; car on suit pour cela un ordre méthodique et invariable. Il en résulte que les Afghans ne saufoient posséder des connoissances variées, comme la plupart des Européens instruits ; mais en général ils savent très-bien ce qu’ils ont appris.

Les rois afghans ont presque tous cultivé et protégé les lettres. Schah-Shujau, près de qui j’ai été envoyé en ambassade, est extrêmement instruit, et fait d’excellens vers.