Tableau du royaume de Caboul et de ses dépendances dans la Perse, la Tartarie et l’Inde/Tome 3/Candahar

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CANDAHAR.

Héraut et Candahar sont les seules villes du pays des Douraunées. On en attribue la fondation à un très-ancien roi de Perse nommé Lohrapp. D’autres, avec plus de vraisemblance, donnent pour fondateur à Candahar, Scander-Zoulkurnine, c’est-à-dire Alexandre-le-Grand. Les traditions des persans s’accordent avec les conjectures des géographes modernes, en plaçant en cet endroit une des villes qui ont porté le nom d’Alexandrie[1]. La forme de Candahar est un carré oblong, et cette ville a été bâtie d’après un plan régulier. Quatre bazars considérables se touchent au centre de la ville, et ils sont réunis par un espace circulaire, de cent à cent cinquante pieds de diamètre, couvert d’un dôme.

Cette place s’appelle le Chaursou ; elle est entourée de boutiques. C’est là que l’on fait les proclamations, et que l’on expose les corps des criminels condamnés à mort.

Le palais du roi n’a rien de remarquable à l’extérieur ; il contient plusieurs cours, de vastes corps-de-logis, et un superbe jardin.

On prétend que tous les bazars, excepté celui qui conduit au palais, étoient autrefois plantés d’arbres, et que l’on avoit pratiqué au milieu de chaque allée un étroit canal pour en arroser les racines. Cependant les arbres se sont desséchés ; et si des canaux ont existé, il n’en reste plus de vestiges. Toutefois la ville est suffisamment arrosée par deux larges canaux que l’on traverse de distance en distance sur de petits ponts. Ces canaux se divisent en filets d’eau qui parcourent presque toutes les rues, soit à découvert, soit sous terre.

La ville est partagée en un grand nombre de mohullas, ou quartiers habités exclusivement par chacune des nations dont se compose la population. Presque tous les seigneurs Douraunées possèdent de superbes maisons à Candahar.

On y voit beaucoup de caravansérais et de mosquées. Le tombeau d’Ahmed-Schah se trouve auprès du palais. Ce n’est pas un vaste édifice, mais il est décoré d’une coupole élégante, et est enrichi à l’intérieur de toutes sortes de peintures et de dorures. Ce tombeau est fort respecté des Douraunées, et offre un asyle inviolable. Le roi lui-même n’oseroit pas toucher un homme qui s’y est retiré. Lorsque les grands seigneurs sont disgraciés ou mécontens, ils se retirent au tombeau d’Ahmed-Schah, sous prétexte de fuir le monde et de se consacrer à la prière. Il est certain que si jamais un monarque asiatique a mérité la reconnoissance de son pays, c’est sans contredit Ahmed-Schah.

On pourra se faire une idée de ces monumens élevés aux morts par celui de Maunikkyaula qui est encore majestueux, malgré son apparence de vétusté, et quoique les plantes parasites, les arbres même qui croissent entre les pierres le menacent d’une ruine prochaine. (Voyez la Pl. en regard.)

Candahar, de beaucoup supérieur aux autres villes d’Asie par la symétrie de son plan, n’est cependant rien moins que magnifique. Presque toute la ville est bâtie de briques, sans autre ciment que du bousillage. Parmi les gens du peuple, les Indous sont les mieux logés, et ils ont conservé leur coutume de bâtir des édifices très-élevés.

Les rues ne désemplissent pas depuis midi jusqu’au soir, et l’on y trouve les mêmes marchands ambulans qu’à Peshawer, excepté les porteurs d’eau qui ne sont point nécessaires ici, à cause du grand nombre des réservoirs ; chaque particulier vient y puiser de l’eau avec des seaux de cuir, attachés à des anses de bois ou de corne.

Les chanteurs et les conteurs sont très-nombreux dans les bazars.

Candahar fait exception aux autres villes de l’Afghanistan, en ce que les Afghans y sont très-nombreux et en plus grande quantité que les Douraunées. Mais ces Afghans ne ressemblent pas du tout à ceux des campagnes ; ils ont le costume et toutes les manières des Persans. Les autres habitans sont des Taujiks, des Limauks, des Indous, des Persans, des Sistaunées et des Béloches, avec un petit nombre d’Usbecks, d’Arabes, d’Arméniens et de Juifs.

Le pays des Ghiljies consiste en une plaine sablonneuse, coupée de terrains pierreux et de collines arides.

Les villes de Ghuznée et de Caboul (qui a donné son nom à tout le royaume) sont comprises dans leur territoire.

Ghuznée étoit elle-même, il y a huit siècles, la capitale d’un empire qui s’étendoit du Tigre au Gange, et de l’Iaxarte au golfe Persique. Ce n’est plus qu’une bourgade contenant quinze cents maisons. La ville est sur une hauteur, au pied de laquelle coule une petite rivière. On voit dans ses environs quelques vestiges de son ancienne grandeur, entr’autres, deux minarets, dont l’un a plus de cent pieds de la hauteur. La tombe du grand sultan Mahmoud existe encore à une lieue de la ville. C’est un bâtiment vaste, mais d’un assez mauvais style, et surmonté d’une coupole. Les portes sont de bois de sandal massif ; on assure que le sultan les a enlevées comme un trophée, du fameux temple de Somnant à Guzarate, qu’il pilla lors de sa dernière expédition dans l’Inde. Le tombeau est de marbre blanc, sur lequel on a gravé des versets arabes, tirés du Koran. Près de la tête de l’illustre mort se trouve une masse d’armes très-pesante, dont on assure qu’il s’est servi. Cette arme a un manche de bois, mais elle se termine par une boule de fer si énorme que très-peu de guerriers seroient en état d’en faire usage. Au-dessus de la tombe est un dais magnifique. Plusieurs mollahs y récitent continuellement des prières.

La ville de Caboul est enfermée de trois côtés par de petites collines en demi-cercles, le long desquelles règne une foible muraille. L’ouverture du côté de l’ouest est défendue par un rempart ; là se trouve l’entrée principale, en passant un pont sur une rivière. Le balla-hissaur, ou palais du roi, est une espèce de citadelle ; il y a cependant un fort particulier qui domine tout le reste, et sert de prison d’État aux princes du sang.

Au centre de la ville est une place découverte qui aboutit à quatre bazars. La plupart des bâtimens sont de bois, et n’en résistent que mieux aux tremblemens de terre, qui sont fréquens dans le pays.

Caboul n’est pas une ville considérable, mais elle est propre et jolie ; une rivière du même nom la divise en deux parties. Ce qu’on y voit de plus remarquable, c’est le tombeau de l’empereur Bauber, situé sur une colline au-dessus de la ville. Tout autour de ce monument funèbre sont des plates-bandes d’anémones et d’autres fleurs.

Les charmes du climat de Caboul et des perspectives dont on y jouit ont été célébrés par une foule de poëtes persans et indiens. L’abondance de ses fleurs est passée en proverbe et l’on en transporte les fruits aux extrémités de l’Inde.


  1. Alexandrie, en Égypte, tire, comme Alexandrette en Syrie, son nom du conquérant des Perses ; mais Alexandrie en Piémont porte le nom d’un pape.
    (Note du Trad.)