Tablettes d’un mobile/22

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18 MARS 1871.



Alors pendant cinq mois nous aurons combattu ;
Pendant cinq mois, ardents, nous aurons revêtu
Les habits du soldat ; sans faiblesse, sans crainte,
Nous nous serons tordus sous l’implacable étreinte
D’un ennemi vainqueur, formidable, nombreux ;
Nous aurons tout risqué, citoyens généreux,
Pour conserver l’honneur et sauver la patrie ;
Nous aurons exposé mille fois notre vie ;

Nous aurons affronté la faim, le froid, la mort ;
Nous aurons vu tomber, dans un dernier effort,
Un de ceux qui portaient l’empreinte du génie ;
Puis, après ces cinq mois de souffrance infinie,
Cinq mois, pendant lesquels nous avons acheté,
Au prix de notre sang, le droit incontesté
De tomber sans rougir, — car la chute était belle, —
Nous aurons supporté cette douleur cruelle
De voir les Allemands pénétrer dans nos murs,
Souiller nos monuments de leurs contacts impurs,
D’un œil victorieux contempler nos musées,
Attacher leurs chevaux dans les Champs-Élysées :
Nous aurons fait cela, pourquoi ? —
Nous aurons fait cela, pourquoi ? —Pour qu’en un jour
Trente mille bandits, vomis par le faubourg,
Nous forcent aussitôt, — tant leur souillure est prompte ! —
Ayant semé la gloire, à récolter la honte !