Tabubu/2

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E. Dentu (p. 57-66).


II




« Nous retournâmes à Coptos au jour désigné et nous nous y réjouîmes devant Isis et devant Harpochrate. Puis, nous reprîmes le large pour continuer notre navigation. Nous parvînmes ainsi à Artou, au nord de Coptos.

« Nous arrivâmes devant Thot. Or, le dieu savait tout ce qui avait eu lieu au sujet du livre. Il ne tarda pas à se plaindre devant le Soleil, disant

« — Sachez que mon arcane, que ma science est avec Ptahneferka, le fils du roi Merneb-Ptah. Il est allé à ma demeure et l’a pillée, Il a enlevé ma caisse avec mes papiers. Il a tué le gardien de ma retraite, le serpent immortel. »

« Il fut répondu à Thot :

« — Ptahneferka est à toi avec tous les siens »

« C’est alors que nos grands malheurs commencèrent. »

« Une puissance divine fut détachée du haut du ciel, à laquelle il fut dit :

« — Ne laisse pas retourner Ptahneferka à Memphis. Il est dévoué, avec tous ceux qui sont avec lui. »

« Une heure se passa. Alors, entraîné par une force mystérieuse, Merhu, notre jeune enfant, sortit de l’ombre de la barque royale et se jeta dans le fleuve. Là, il dit adieu au Soleil[1], parmi nos lamentations et celles de tous les hommes de l’équipage. Ptahneferka sortit de la cabine et lut l’écrit magique. Il fit venir la force divine des eaux pour ramener Merhu à la surface, et nous retournâmes à Coptos avec l’enfant. Là, nous le menâmes au tombeau, et, après avoir célébré les rites, nous le fîmes ensevelir selon la grandeur de son rang. Nous le reposâmes dans un sarcophage de la nécropole de Coptos.

« Ensuite Ptahneferka me dit :

« — Naviguons ! Ne perdons pas de temps — de peur que le roi n’entende parler des choses qui sont advenues et que son cœur n’en soit troublé. »

« Nous reprîmes donc au large du fleuve, et nous avançâmes sans nous attarder au nord de Coptos, à Artou, où Merhu, notre cher enfant, était tombé dans les eaux.

« Or, voilà qu’à mon tour je fus entraînée à sortir de l’ombre de la barque royale et à me jeter dans le fleuve. Je mourus comme Merhu parmi les lamentations des hommes de l’équipage. Ptahneferka fut averti après les autres. Il vint et lut l’écrit magique, et reconnut les suites de la plainte de Thot au soleil. Il retourna encore à Coptos avec ma dépouille, célébra les rites et me fit déposer dans la sépulture, avec de grands honneurs. Et je me trouvai reposant à côté de Merhu mon jeune enfant.

« Cependant Ptahneferka avait repris sa route. Mais sa désolation était grandie. Et près d’Artou, l’endroit fatal où nous mourûmes, il interrogea son cœur et se dit :

« — Hélas ne puis-je donc moi aussi aller à Coptos, afin de m’unir à mes bien-aimés. Si je retourne ainsi seul à Memphis, le roi va m’interroger sur mon épouse et mon petit enfant, et que lui dirai-je ? Et pourrai-je lui répondre :

« — J’ai mené tes enfants vers le pays de Thèbes, et je les ai tués — et moi je vis !… Irai-je vivant à Memphis ? »

« Pensant ainsi tristement, il fit apporter une bande de byssus et la transforma en ceinture. Il lia le livre de Thot et le mit à son flanc, en l’assujettissant bien. Ensuite, il sortit au bord de la barque et se jeta au fleuve.

« Ainsi mourut Ptahneferka, et les hommes criaient :

« — Oh terrible malheur ! Malheur affreux ! Il est parti, le bon scribe, l’homme savant à qui nul autre n’est comparable ! »

« La barque repartit.

« L’équipage atteignit Memphis. On annonça tous ces malheurs au roi. Le roi descendit vers la barque en vêtements de deuil que les intendants de Memphis revêtirent également ainsi que les prêtres de Ptah, le grand-père de Ptah et tous les officiers de la maison du roi. Lorsqu’ils virent Ptahneferka au fond de la barque royale, on le transporta en haut au milieu de la désolation du roi et des assistants. On vit alors le livre à son flanc.

« Le roi dit :

« — Qu’on enlève ce livre de son flanc. »

« Les officiers du roi et les prêtres de Ptah, et le grand-prêtre s’écrièrent :

« — Notre grand Maître ! Notre Seigneur ! Donne à Ptahneferka la durée du soleil ! Oh ! prince, bon scribe, homme suprêmement savant ! »

« Le roi fit conduire son fils à la tombe endéans les seize jours. L’embaumement prit trente-cinq jours et l’ensevelissement dix.

« Ainsi se firent les funérailles de Ptahneferka — et maintenant j’ai raconté les malheurs qui nous advinrent par suite du livre de Toth, ce livre qui nous prit à tous trois la vie sur la terre ! »



  1. Il mourut.