Tandis que la terre tourne/Te voilà hors de l’alvéole

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TE VOILÀ HORS DE L’ALVÉOLE


Te voilà hors de l’alvéole,
Petite abeille de ma chair,
Je suis la ruche sans parole
Dont l’essaim est parti dans l’air.

Je n’apporte plus la becquée
De mon sang à ton frêle corps ;
Mon être est la maison fermée
Dont on vient d’enlever un mort.


J’eus beau te donner sur ma bouche,
Butineuse dès le matin,
Le pollen où pétrit la mouche
Et l’odeur piquante du thym ;

J’eus beau cueillir pour ta retraite
Des rameaux avec leur azur,
Des nids où la ponte était faite,
Des lézards sur leur pan de mur.

Du monde où passe la lumière
Je ne t’offrais que les reflets ;
Et ton œil ouvrit sa paupière
Et ta main poussa les volets.

Te voilà hors de l’alvéole,
Petite abeille de ma chair ;
Je suis la ruche sans parole
Dont l’essaim est parti dans l’air.


Vois-tu, je suis vide et suis soûle
Comme une jonque sans rameur ;
J’ai l’âme de la mère-poule
Dont fuit le caneton nageur.

Fallait-il que je sois la plante
Qui voit le vent ravir son grain
Et qui reste sèche et craquante,
Les pieds enchaînés au terrain ?

Tu n’es plus tout à moi. Ta tête
Réfléchit déjà d’autres cieux
Et c’est l’ombre de la tempête
Qui déjà monte dans tes yeux.