Tant mieux pour elle/Chapitre 9

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Romans et contes, première partie (p. 207-210).


CHAPITRE IX


Le bruit de cet événement répandu, le Roi des Patagons fit battre aux champs ; on publia le mariage de la Princesse et de Potiron : rien ne pouvoit le retarder. Le repas se fit ; on mangea plus qu’on ne parla ; on parla plus qu’on ne pensa. La chere fut fine, les plaisanteries furent grosses, l’ennui succéda, et le Roi, charmé de se bien divertir, dit, d’un ton malicieux, qu’il étoit temps de conduire les nouveaux mariés à leur appartement. Je fais grâce de la cérémonie. Le Prince parut bête, Tricolore parut triste ; tout cela étoit vrai. La Fée Rancune rioit comme rit la haine ; le grand Instituteur fit une belle exhortation ; mais ce n’est pas ce qu’il fera de mieux. Dès que les époux furent dans la chambre nuptiale, la belle Tricolore prit le déshabillé le plus galant ; mais, ce qui la rendoit encore plus charmante et plus désirable, c’étoit son embarras et sa rougeur : en pareille occasion, la pudeur est toujours en tribut à la volupté.

Potiron n’étoit pas si bien dans son bonnet de nuit. Il avoit cependant une belle robe de chambre couleur de chair. Le Roi crut que c’étoit l’instant de les laisser ; il congédia l’assemblée, et prit le parti lui-même de s’appuyer sur deux de ses Pages, et de se retirer, en disant une ordure, qu’il prit pour une finesse.

Dans le moment que tout le monde sortoit, on entendit une voix qui prononça ces paroles : Il n’y est pas encore. Madame, dit aussi-tôt Potiron, permettez-moi de lui donner un démenti. Tricolore garda un silence modeste, qui autorisoit les droits de son époux : il alloit en prositer, lorsque la Princesse fit une grimace, une plainte, et un mouvement. Potiron, plein d’égards, contint son feu, et lui demanda ce qu’elle avoit. Seigneur, répondit-elle, c’est quelque chose de très-extraordinaire. Sentez-vous du mal quelque part, poursuivit Potiron ? Seigneur, cela est plus embarrassant que douloureux. Madame, permettez-moi de voir. Je n’ose pas, repartit-elle ; si vous saviez où c’est ! Vous me l’indiquez en me parlant ainsi, reprit Potiron. En même temps il fit l’examen : mais quel fut son étonnement, en appercevant une rose toute épanouie, entourée de piquans ! Ah ! la belle rose, s’écria-t-il ! Madame, seroit-ce, par hasard, une marque de naissance ? Monsieur, dit la Princesse, je crois qu’elle n’y est que de tout à l’heure. Cela est très-singulier, continua Potiron ; c’est un tour que l’on me joue, ou une galanterie que l’on me fait. Mais j’apperçois des lettres ; c’est peut-être une devise ; souffrez que je prenne une lumiere pour les lire : le caractere en est très-fin, et je le crois d’Elzévir.

Potiron alla prendre un flambeau ; mais il trouva un changement de décoration. Il n’y avoit plus ni rose ni piquans ; il vit à la place deux grands doigts qui lui faisoient les cornes. Potiron se mit en fureur. Madame, s’écria-t-il, vous avez un Amant, et voilà ses doigts. Seigneur, qu’imaginez-vous-là ? vous me faites injure. Madame, ayez la bonté de vous tenir debout, pour savoir si cela ne changera point. La Princesse se leva, et les deux doigts resterent. Potiron tâcha de réfléchir : il jouoit de malheur toutes les fois que cela lui arrivoit ; il en fit une nouvelle expérience. Princesse, reprit-il avec un air content, tout ceci n’est qu’un jeu ; ce n’est qu’une mauvaise plaisanterie de la Fée Rusée qui veut arrêter mes plaisirs en me donnant des ombrages sur vous. Je remarque que ces deux doigts ne peuvent m’empêcher de vous donner des preuves de mon estime. Ils disparoîtront sans doute lorsque je les aurai méprisés. Il eut alors un désir déplacé (il n’y avoit jamais d’à-propos chez lui) ; il voulut se satisfaire : mais les deux doigts devinrent aussi-tôt deux pinces qui le serrerent impitoyablement. Il jeta les hauts cris ; et ce qui redoubla ses tourmens, c’est que dans cet instant la Princesse, par une impulsion involontaire, marcha à reculons avec autant de vîtesse qu’auroit pu faire le meilleur Coureur en allant droit devant lui.

Hé ! mais, Madame, s’écria-t-il, vous êtes folle ; mais vous n’y pensez pas ; arrêtez-vous donc. Je ne le puis, Monsieur, répliqua-t-elle en lui faisant sans cesse faire le tour de la chambre. Madame, reprenoit Potiron, vous me mal-menez trop, je ne pourrai de ma vie vous être bon à rien : enfin, au bout d’un grand quart-d’heure, Tricolore tomba dans un grand fauteuil, et Potiron, se trouvant libre, roula par terre sans aucun sentiment.