Tao Te King (Stanislas Julien)/Chapitre 67

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Traduction par Stanislas Julien.
Imprimerie nationale (p. 251-254).


CHAPITRE LXVII.



天下皆謂我道大,似不肖。夫唯大,故似不肖。若肖久矣。其細也夫!我有三寶,持而保之。一曰慈,二曰儉,三曰不敢為天下先。慈故能勇;儉故能廣;不敢為天下先,故能成器長。今舍慈且勇;舍儉且廣;舍後且先;死矣!夫慈以戰則勝,以守則固。天將救之,以慈衛之。


Dans le monde tous me disent éminent (1), mais je ressemble à un homme borné. C’est uniquement parce que je suis éminent, que je ressemble à un homme borné.

Quant à (ceux qu’on appelle) éclairés, il y a longtemps que leur médiocrité est connue (2) !

Je possède trois choses précieuses : je les tiens et les conserve comme un trésor.

La première s’appelle l’affection ; la seconde s’appelle l’économie ; la troisième s’appelle l’humilité, qui m’empêche de vouloir être le premier de l’empire.

J’ai de l’affection (3), c’est pourquoi je puis être courageux.

J’ai de l’économie (4), c’est pourquoi je puis faire de grandes dépenses.

Je n’ose être le premier (5) de l’empire, c’est pourquoi je puis devenir le chef de tous les hommes (6).

Mais aujourd’hui (7) on laisse l’affection pour s’abandonner au courage ; on laisse l’économie pour se livrer à de grandes dépenses ; on laisse le dernier rang pour rechercher le premier :

Voilà ce qui conduit à la mort (8).

Si l’on combat avec un cœur rempli d’affection, on remporte la victoire (9) ; si l’on défend (une ville), elle est inexpugnable.

Quand le ciel veut sauver un homme, il lui donne l’affection pour le protéger (10).


NOTES.


(1) Littéralement : « disent que ma voie est grande. » B : Le Saint applique son cœur et sa volonté à une seule chose (au Tao). Il ne connaît rien, il ne sait rien. Il paraît stupide et ressemble à un homme bègue. Il est tellement simple, qu’on le prendrait pour un homme commun et hébété. Il cache l’éclat de sa sagesse, se dépouille de la prudence et pratique le Tao.

J’ai suivi A, qui rend les mots pou-siao 不肖 par « stupide, privé de discernement, » et qui, plus bas, explique le mot siao par « intelligent, perspicace, éclairé. »

Quelques commentateurs, comme E, qui suit Sou-tseu-yeou, expliquent les mots pou-siao 不肖 par « non-semblable, » c’est-à-dire différent des êtres, des créatures. E : Ils (les hommes) louent sa grandeur et s’affligent de ce qu’il ne ressemble pas (aux créatures). Ils ignorent que si le Saint est grand, c’est parce qu’il ne ressemble pas aux créatures. S’il leur ressemblait, comment serait-il digne d’être appelé grand ?


(2) Sic B : Quant à ceux que le siècle appelle éclairés. D : Les mots kieou-i-khi-si 久矣其細 doivent être construits ainsi : khi-si-i-khieou 其細久矣.


(3) E : C’est comme lorsqu’on dit : l’homme doué d’humanité ne rencontre pas d’ennemis. B : Dans l’empire, personne ne me résiste ; c’est pourquoi je semble doué de courage.


(4) E : Celui qui économise a du superflu.


(5) E : Il se place après la multitude des hommes.


(6) E : Tout l’empire le pousse en avant et le place au premier rang.

H : Le mot khi (vulgo « vase ») est souvent un « nom général pour désigner les hommes et les créatures, » 人物之通稱.

E a divisé en deux parties les trois mots 成器長, « C’est pourquoi il arrive à la perfection (tch’ing-khi 成器 a ce sens dans les livres classiques), et devient le chef de l’empire, » weï-thien-hia-tchi-tch’ang 爲天下之長.


(7) E : Le mot kin , « maintenant, » désigne les hommes contemporains de Lao-tseu.


(8) B : Ils deviennent violents et inflexibles. Les hommes violents et inflexibles (dit Lao-tseu, chap. xlii) ne meurent point de leur mort naturelle.


(9) A : Les peuples s’attachent à un prince affectueux et humain, ils s’associent à lui de cœur et d’âme. S’il livre une bataille, personne (B) ne peut lui résister ; s’il défend une ville, personne ne peut l’attaquer avec succès ; elle est inexpugnable. Ce passage montre (E) que celui qui est affectueux et humain est soutenu et protégé par les autres hommes.


(10) E : L’affection est la principale (littéral. « la tête ») des trois choses précieuses dont parle Lao-tseu. C’est pourquoi il la cite à plusieurs reprises. Celui qui est doué d’affection ne fait pas de mal aux créatures ; il protége[sic] tendrement le peuple, et le peuple le chérit comme un père et une mère ; sa vertu peut toucher le ciel. Lorsque le ciel veut le délivrer du danger, il le protège par l’affection. Il ne permet pas que les ennemis lui fassent du mal. Les mots « il le protége[sic] par l’affection » montrent que l’homme doué d’affection pour les créatures est protégé par le ciel.

Suivant Sou-tseu-yeou, les mots « il le protége[sic] par l’affection » montrent que, le Saint étant affectueux et humain pour les créatures, celles-ci lui donnent l’aide et l’appui dont il peut avoir besoin, comme si l’on disait : Le ciel lui donne des sentiments humains et affectueux qui lui procurent l’appui et la protection de tout l’empire.