Tao Te King (Stanislas Julien)/Observations détachées

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Traduction par Stanislas Julien.
Imprimerie nationale (p. xxxiii-xlv).


OBSERVATIONS DÉTACHÉES


SUR LE TEXTE ET LES DIFFÉRENTES ÉDITIONS DE LAO-TSEU.




Titre de l’ouvrage. — « On n’est pas d’accord, dit Sie-hoeï, sur les motifs qui ont fait adopter le titre de Tao-te-king. L’ouvrage de Lao-tseu[1] forme deux livres. Le premier s’appelle Tao-king 道經 ou « le livre du Tao, » et le second Te-king 德經 ou « le livre de la Vertu ». C’est pourquoi quelques écrivains l’ont appelé Tao-te-king 道德經. Ou-yeou-thsing fait observer que, dans l’origine, le nom de chaque livre fut pris d’un des mots de la première phrase[2] (le premier commence par Tao, et le second par chang Te). Dans la suite on réunit ces deux mots et l’on forma ainsi le titre de Tao-te-king. Voilà le motif qui a fait appeler ainsi l’ouvrage de Lao-tseu ; l’on n’a nullement songé à indiquer par là que le premier livre traite du Tao, et le second de la Vertu (Te). »

Sie-hoeï remarque, avec raison, que « cette observation est contraire au témoignage de l’historien Sse-ma-thsien qui dit positivement que Lao-tseu composa un ouvrage, en deux livres, dont le sujet est le Tao et la Vertu. La division actuelle de l’ouvrage en deux parties est conforme à la plus ancienne disposition du texte. Le mot king (qui signifie « livre renfermant une doctrine invariable ») est une expression ajoutée dans les siècles suivants pour exprimer la vénération qu’on a pour ce livre.

« L’histoire de la littérature, dans les annales des Han, nous apprend que trois anciens commentaires (composés sous cette dynastie, et qui ne sont point parvenus jusqu’à nous[3]) portaient seulement le titre de Lao-tseu. » Sie-hoeï se range, en conséquence, de l’avis de Ou-yeou-thsing, qui pense que le titre Tao-te vient d’un mot de la première phrase de chaque livre, et non du sujet qui y est traité. D’un autre côté, plusieurs interprètes recommandables soutiennent l’opinion de l’hstorien Sse-ma-thsien. Nous laissons au lecteur le soin d’adopter celle de ces deux opinions qui lui paraîtra le mieux fondée.

Division en 81 chapitres. — Suivant Sie-hoei[4] « le plus ancien texte du Tao-te-king était divisé en 81 chapitres. Quelques personnes attribuent cette disposition à Ho-chang-kong (qui présenta son commentaire à l’empereur Hiao-wen-ti, l’an 163 avant J. C.), d’autres à Lieou-hiang, qui vivait sous les Han ; mais il n’est plus possible aujourd’hui de vérifier ce fait : ce qu’il y a de certain, c’est que cette division remonte à une époque très-reculée. C’est pourquoi la plupart des éditeurs et des commentateurs l’ont adoptée. Quoique Wang-fou-sse et Sse-ma-wen-kong n’aient point distribué le texte de Lao-tseu en chapitres, leurs commentaires suivent exactement la pensée de l’auteur, telle qu’elle est développée, chapitre par chapitre, dans les textes que nous venons de citer. »

« Yen-kiun-p’ing (qui vivait sous les Han) a divisé le texte en 72 chapitres, et Ou-yeou-thsing en 68. Les différentes parties de l’ouvrage se lient et s’enchaînent parfaitement entre elles depuis le commencement jusqu’à la fin ; mais les divisions qu’ils ont adoptées sont loin de présenter les mêmes avantages que les autres éditions. Au résumé, la division en quatre-vingt-un chapitres est la plus rationnelle. »


NOMBRE DES MOTS DU TAO-TE-KING.


« Le texte du Lao-tseu[5] connu sous le titre de Hiang-in-tsie-pen, fut trouvé dans le tombeau de Hiang-in, la 5e année de la période Wou-ping, de la dynastie des Thsi du nord (l’an 574 après J. C.), par un homme de la ville de Pong. Le texte appelé Ngan-khieou-wang-pen, fut trouvé par un Tao-sse nommé Keou-tsien, dans la période Thaï-ho des Weï (entre les années 477 et 500 de J. C). Le texte de Ho-chang-kong fut transmis par Kieou-yo, sage du royaume de Thsi. Ces trois textes renferment chacun cinq mille sept cents vingt-deux mots. Les passages de Lao-tseu cités par le philosophe Han-fei[6] s’y retrouvent exactement et sans variantes. Il y avait, à Lo-yang, un texte officiel (kouan-pen 官本) contenant cinq mille six cent trente mots. Le texte de Wang-pi (dont le commentaire fut composé sous les Weï[7], d’autres disent sous les Tsin) renferme cinq mille six cent quatre-vingt-trois mots, et, dans certaines éditions, cinq mille six cent dix mots. »

La présente édition renferme cinq mille trois cent vingt mots.

« Plusieurs éditeurs ont témérairement, ajouté, retranché ou changé certains mots du texte, et n’en ont pas toujours averti le lecteur, comme l'a fait l’empereur Hiouan-tsong des Thang (à la fin du chapitre xx) dans son commentaire (qui fut publié entre les années 713 et 742.) »

« Lorsque Sse-ma-thsien rapporte, dans ses Mémoires historiques, « que le livre de Lao-tseu renfermait un peu plus de cinq mille mots, il s’exprime ainsi parce que l’ouvrage ne contenait pas tout à fait six mille mots. Il a voulu donner un nombre rond. Il est résulté de là que plusieurs éditeurs peu éclairés ont été assez téméraires pour retrancher une quantité de particules auxiliaires, explétives et finales, afin de ramener à cinq mille le nombre des mots du texte. On peut dire que cette assertion de Sse-ma-thsien a fait un tort considérable au texte de Lao-tseu[8]. »

Cette observation de Tsiao-hong explique pourquoi le texte de notre philosophe offre si peu de ces particules auxiliaires, explétives et finales qui, en chinois, contribuent tant à l’harmonie du style et à la régularité des périodes.


NOMBRE ET CARACTÈRE DES EDITIONS ET COMMENTAIRES DE LAO-TSEU.


Tsiao-hong[9] rapporte les titres de soixante-quatre éditions de Lao-tseu, qu’il fait suivre des noms des commentateurs et du nombre des livres dont chaque édition se compose.

Parmi les interprètes les plus célèbres, nous remarquons trois empereurs qui professaient la doctrine de Lao-tseu, savoir : 1° Wou-ti, de la dynastie des Liang (qui monta sur le trône l’an 502 de l’ère chrétienne) ; on a de lui : Tao-te-king-tchou, en 4 livres.

2° L’empereur Kien-wen-ti, de la même dynastie (qui monta sur le trône l’an 550 de J. C.). Il a publié : Tao-te-king-chou-i, en 10 livres.

3° L’empereur Hiouen-tson, de la dynastie des Thang (qui monta sur le trône l’an 713 de J. C.). Il est auteur d’une glose sur Lao-tseu : Tao-te-king-tchou, en 2 livres, et d’une paraphrase : Tao-teking-kiang-sou, en 6 livres.


COMMENTATEURS TAO-SSE.


Tsiao-hong cite vingt autres commentateurs Tao-sse, savoir :

1. Le Tao-sse Tsang-hioaen-thsing, qui vivait sous les Liang (de 502 à 556) ; son nom honorifique était Tao-tsong. Il a composé Tao-te-king-sou, en 4 livres.

2. Le Tao-sse Meng-nganpaï, dont le nom honorifique était Ta-meng. Il vivait sous les Liang (de 502 à 556). Il a composé Lao-tseu-tao-te-king-i, en 2 livres.

3. Le Tao-sse Meng-tchin-tcheou, dont le titre était Siao-meng. Il vivait aussi sous les Liang. Il a composé Tao-te-king tchou, en 2 livres.

4. Le Tao-sse Teou-lio (sous la même dynastie). Il a composé Tao-te-king-tchou, en 2 liv.

5. Le Tao-sse Tchou-jeou, qui vivait sous la dynastie des Tchin (de 557 à 587). Il a composé Tao-te-king-hiouen-lan, en 6 liv.

6. Le Tao-sse Lieou tsin-hi, qui vivait sous la dynastie des Souï (de 58 1 à 618). Il a composé : Tao-te-king-sou, en 6 liv.

7. Le Tao-sse Li-po (sous la même dynastie). Il a composé : Tao-te-king-tchoa, en 2 liv.

8. Le Tao-sse Ngan-khieou. Il a composé : Tao-te-king-tchi-khoueï, en 5 liv.

9. Le Tao-sse Wang-hiouen-pien. Il a composé : Ho-chang-kongchi-i, ou explication du sens de Ho-chang-kong, en 10 liv.

10. Le Tao-sse Siu-mo, auteur de Tao-te-king-tchou, 4 liv.

11. Le Tao-sse Ho-sse-youen, membre de l’académie des Han-lin. Il a composé : Tao-te-king-tchi-siu, en 2 livres ; et Tao-te-king-hiouen-chi, en 8 liv.

12. Le Tao-sse Sie-ki-tchang. Il a composé : Tao-te-king-kin-i-hing, en 10 liv. et Tao-te king-sse-sou, en 1 liv.

13. Le Tao-sse Li-youen-hing, auteur de Tao-te-king-tchou-i, en 4 livres.

14. Le Tao-sse Tchang-hoeï-tchao, auteur de Tao-te-king-tchi-hiouen-sou, 1 liv.

15. Le Tao-sse Tche-jo-pi, auteur de Tao-te-king-sou, en 7 liv.

16. Le Tao-sse Jin-taï-hiouen, auteur de Tao-te-king-tchou, en 2 livres.

17. Le Tao-sse Chin-fou, surnommé Tchong-hiu-sien-sing, et inspecteur au palais impérial ; auteur de Tao-te-king-sou, en 5 liv.

18. Le Tao-sse Tchang-kiun-siang, auteur de Tao-te-king-tsi kiaï, en 4 liv.

19. Le Tao-sse Tching-hiouen-ing, auteur de Tao-te-king-kiang-sou, en 6 liv.

20. Le Tao-sse Fou-chao-ming, auteur de Tao-te-king-pou-tse, en 2 livres.


COMMENTATEURS BOUDDHISTES.


Tsiao-hong nous fait connaître sept commentateurs bouddhistes de Lao-tseu, dont les noms suivent :

1. Tchang-tao-ling, surnommé San-thien-tao-sse (le docteur de la loi des trois ciels). Il est auteur de Lao-tseu-siang-eul, en 2 livres.

2. Le Cha-men (samanéen) Kieou-mo-lo-chi, prêtre indien, qui entra en Chine au commencement du vie siècle de notre ère, et qui a traduit en chinois un grand nombre de livres sanskrits. Il est auteur de Tao-te-king-tchou, en 2 livres.

3. Le Cha-men (samanéen) Fou-th’ou-tch’ing, qui vint de l’Inde en 310, et s’établit dans la ville de Lo-yang. Il est auteur de Tao-te-king-tchou, en 2 liv.

4. Le Cha-men (samanéen) Seng-tchao, qui vivait sous les Tsin (de 265 à 419 de J. C.). Il a composé Tao-te-kingt--chou, en 4 liv.

5. Le Fa-sse (docteur de la loi) Tsong-wen-ming. Il a composé Lao-tseu-i, en 5 liv.

6. Le Fa-sse (docteur de la loi) Tchao-kien, auteur de Lao-tseu-kiang-sou, en 6 liv.

7. Le Fa-sse (docteur de la loi) Kong, auteur de Lao-tseu-tsi-kiaï, en 4 livres.


COMMENTATEURS LETTRÉS.


Les trente-quatre autres commentateurs de Lao-tseu sont des écrivains de la secte des lettrés, qui expliquent constamment Lao-tseu, suivant les idées particulières à l’école de Confucius, au risque de dénaturer la pensée de notre auteur, et dans l’intention formelle d’étouffer son système philosophique.

Des commentaires rédigés dans un tel esprit n’ont aucun intérêt pour les personnes qui veulent entrer intimement dans la pensée de Lao-tseu et se faire une juste idée de sa doctrine. Je crois inutile en conséquence de rapporter leurs noms et les titres des commentaires qu’ils ont publiés.

D’un autre côté, j’ai cru devoir faite connaître les principaux commentaires bouddiques, parce que, de l’aveu des Tao-sse eux-mêmes, leur doctrine paraît avoir plusieurs points de contact avec celle de Lao-tseu, et afin que les savants qui seraient tentés de donner au Tao-te-king une origine tout indienne, voulussent bien se rappeler que les commentateurs bouddhistes, qui sont d’ordinaire les plus profonds et les plus éloquents de tous, ont dû exercer une influence considérable sur l’interprétation générale de ce livre.


ÉDITIONS DONT ON A FAIT USAGE POUR RÉDIGER LA TRADUCTION DE LAO-TSEU ET LES NOTES PERPÉTUELLES QUI L’ACCOMPAGNENT.


Le texte chinois de notre édition est presque entièrement conforme à celui de l’édition E que possède la Bibliothèque royale de Paris. Nous y avons introduit une trentaine de variantes, dont on trouvera à la fin de l’ouvrage (pag. 299-303) l’indication et l’origine authentique.


Édition A. — Cette édition renferme le commentaire composé, sous la dynastie des Han, par Lo-tchin-kong, qui prenait tantôt le titre de Ho-chang-tchang-jin, c’est-à-dire « le grand homme qui habite sur les bords du fleuve jaune, » tantôt celui de Ho-chang-kong[10]. On rapporte que, l’an 163 av. J. C. il présenta son commentaire à l’empereur Hiao-wen-ti, qui était venu le visiter dans sa modeste retraite. Sse-ma-thsien le mentionne honorablement dans sa notice biographique de Lo-i. ( Cf. Catalogue général de la bibliothèque de l’empereur Khien-long, liv. CXLVI, fol. 5.)

Plusieurs personnes possèdent à Paris, et j’ai moi même reçu de Péking, une édition en II liv. dont les notes sont faussement attribuées à Ho-chang-kong, et où l’on ne trouve pas une seule phrase du commentaire original. La glose et le commentaire paraissent rédigés d’après l’édition Tao-te-king-chi-i, publiée en 1690 par Chun-yang-tchin-jin, qui renferme toutes les rêveries des Tao-sse modernes. C’est notre édition F, que nous n’avons citée que deux ou trois fois, dans des passages qui ne touchent nullement à la doctrine de l’auteur.


Édition B. — Cette édition renferme le commentaire de Ko-tchang-keng, qui vivait vers l’an 1208, sous la dynastie des Song. Suivant le Catalogue général de la bibliothèque de Khien-long (liv, CXLVI, fol. 10), c’était un Tao-sse qui avait fixé sa résidence sur le mont Wou-i ; il prenait tantôt le titre de Thse-thsing-tchin-jin, tantôt celui de Pe-tch’en ou de Tch’en-sien. Son interprétation se rapproche en beaucoup d’endroits de celle des religieux bouddhistes qui ont commenté Lao-tseu.


Édition C. — Cette édition a été composée, sous la dynastie des Ming (entre 1368 et 1647), par un Tao-sse qui prenait le titre de Thi-we-tseu. Elle offre une glose perpétuelle et une paraphrase.


Édition D. — Cette édition a été composée, sous la dynastie des Weï, par Wang-pi (entre les années 386 et 543). L’édition dont nous nous sommes servi a été publiée en 1773, en 2 petits vol. in-18. Suivant les critiques chinois, le texte est rempli de fautes, et les notes très-courtes qui y sont jointes sont obscures à force de concision et de subtilité.


Édition E. — Cette édition, intitulée Lao-tseu-tsi-kiaï, se trouve à la Bibliothèque royale (fonds de Fourmont, n° 288). Elle a été publiée en 1530 par Sie-hoeï, que les bibliographes appellent ordinairement Khao-kong-sien-sing, et qui prend tantôt le titre de Ta-ning-kiu-sse (c’est-à-dire « le docteur retiré dans le cabinet de la grande tranquillité » ), tantôt celui de Si-youen-sien-ting, ou « le docteur de la plaine occidentale ».

Les écrivains chinois aiment à se désigner par des titres tirés des lieux qu’ils habitent, ou près desquels ils vivent retirés. C’est ainsi que parmi les commentateurs du Livre des Récompenses et des Peines, traité de morale à l’usage des Tao-sse[11], nous voyons le docteur Iu-khi-tseu, ou « le docteur de la rivière du jade » ; Tsiao-chan-tseu, ou « le docteur du mont Tsiao » ; Thse-khieou-tseu, ou « le docteur de la colline rouge », etc. La « plaine occidentale » (Si-youan) où demeurait Sie-hoeï, était située à une petite distance de Po, son pays natal. C’est pour cette raison (est-il dit dans l’introduction) qu’il prit le titre de Si-youen-sien-sing, c’est-à-dire « le docteur de la plaine de l’ouest ».

La préface nous apprend que Po, pays où était né Sie-hoeï, est celui qui a donné naissance à Lao-tseu. Peut-être que cette communauté d’origine lui inspira l’idée de commenter notre philosophe.

Le commentaire de Sie-hoeï est, comme il le dit lui-même, un résumé des meilleurs commentaires ; mais il est insuffisant pour entendre l’ouvrage d’un bout à l’autre. A l’exception de celui de Ho-chang-kong, c’est le plus clair et le plus précis de tous ceux que j’ai eus à ma disposition : aussi en ai-je fait un grand usage dans mes notes et en particulier dans celles du second livre du Tao-te-king. Cet auteur émet quelquefois des idées fortes et hardies, qu’on s’étonne de trouver chez un écrivain chinois. (Voyez page 148, notes 5 et 7.


Édition F (Tao-te-king-chi-i). — Voir ce qui en a été dit plus haut (édit. A) à l’occasion de l’édition pseudonyme de Ho-chang-kong.


Édition G. — Lao-tseu-i (ou Secours pour l’intelligence de Lao-tseu, en 3 liv.). Cette édition a été publiée en 1588 par Tsiao-hong surnommé Pi-ching. C’est la plus étendue et la plus importante que nous connaissions jusqu’ici. Elle offre, en général, la reproduction complète des plus célèbres commentaires composés par Liu-kie-fou, Ou-yeou-thsing, Li-si-tchaï et Sou-tseu-yeou, et des extraits considérables de soixante autres interprètes.

A la suite de chaque chapitre, Tsiao-hong donne souvent une glose dans laquelle il explique ou corrige le texte d’après les éditions qui ont précédé la sienne. Une grande partie de sa glose, que nous désignons par G, a été mise à profit ou extraite textuellement par Sie-hoeï « ( édit. E).

Le livre III renferme des pièces et notices relatives à Lao-tseu, à son livre et aux différentes éditions dont on donne les préfaces les plus importantes. Il est terminé par un choix de variantes des éditions que l’auteur a eues à sa disposition. Nous croyons utile de faire connaître les principaux commentaires que nous a fournis cette édition.

1. Liu-xie-fou. Son commentaire, intitulé Lao-tseu-tch’ouen, en 4 livres, fut composé, sous la dynastie des Song, dans l’année 1078. Le docteur Yen-ping dit que ce commentaire est l’un des plus estimés.

2. Ou-yeou-thsing. Son commentaire, intitulé Tao-te-tchin-hing-tchou, en 4 livres, a été composé sous la dynastie des Mongols, entre 1260 et 1368. (Cf. Catalogue de la bibliothèque de l’empereur Khien-long, liv. cxlvi, fol. 12.)

3. Li-si-tchaï, surnommé Kia-meou. Son commentaire, intitulé Tao-te-king-kiaï, se trouve, suivant Tsiao-hong, dans la grande collection de livres Tao-sse intitulée Tao-thsang. Mais ce critique ne donne aucun détail sur l’auteur ni sur l’époque où il a vécu.

4. Tao-te-king-kiaï, en 2 livres. Cette édition a été publiée en 1098, par Sou-tche ou Sou-tong-po, appelé plus souvent Sou-tseu-yeou, qui a été l’un des écrivains les plus célèbres de la dynastie des Song. On peut voir sa biographie dans les Mémoires de Péking, tom. X, pag. 70-104. Son style est pur, élégant et souvent profond. On remarque une partie de ces qualités dans le portrait du Saint, pages 142, note 13, et passim, malgré la faiblesse de ma traduction.

L’auteur s’est proposé principalement d’expliquer Lao-tseu d’après les idées bouddhiques. Suivant Ma-touan-lin, il puisa ce système d’interprétation dans la société des religieux samanéens qu’il fréquenta longtemps à Yun-tcheou.

Les renseignements qu’il donne lui-même sur la manière dont son commentaire a été composé et conservé sont entremêlés de détails curieux et touchants qui, je l’espère, en feront excuser la longueur.

« A l’âge de quarante ans[12], je fus exilé à Yun-tcheou. Quoique cet arrondissement soit peu étendu, on y voit beaucoup d’anciens monastères ; c’est le rendez-vous des religieux bouddhistes de tout l’empire. L’un d’eux, nommé Tao-thsiouen, fréquentait la montagne de Hoang-nie ; il était neveu de Nan-kong. En gravissant ensemble les hauteurs, nos deux cœurs s’entendirent. Il aimait à partager mes excursions. Un jour que nous discourions ensemble sur le Tao, je lui dis : « Tout ce dont vous parlez, je l’ai déjà appris dans les livres des lettrés[13]. — Cela se rattache à la doctrine de Bouddha, me répondit Thsiouen, comment les lettrés l’auraient-ils trouvé eux-mêmes ? » (Après un long dialogue dans lequel Sou-tche s’efforce de montrer les points de ressemblance qui existent, suivant lui, entre la doctrine de Confucius et celle de Bouddha, il continue ainsi :)

« À cette époque, je me mis à commenter Lao-tseu. Chaque fois que j’avais terminé un chapitre, je le montrais à Thsiouen, qui s’écriait avec admiration : Tout cela est bouddhique !

« Après avoir demeuré pendant cinq ans à Yun-tcheou, je revins à la capitale, et, quelque temps après, Thsiouen s’éloigna pour voyager. Vingt ans se sont écoulés depuis cette époque. J’ai revu et corrigé constamment mon commentaire de Lao-tseu, et je n’y ai jamais trouvé un seul passage que je ne pusse faire accorder avec la doctrine de Bouddha. Mais, parmi les hommes de mon temps, il n’y avait personne avec qui je pusse m’entretenir de ces matières relevées. J’eus ensuite l’occasion de revoir Thsiouen et je lui montrai mon commentaire. »

Dans la deuxième année de la période Ta-kouan (en 1108), Sou-tche écrit que, voyageant dans le midi, du côté de Haï-kang, il rencontra par hasard Tseu-tchen, son frère aîné, et resta près de lui, pendant une dizaine de jours, dans l’arrondissement de Teng-tcheou. Il l’entretint de ses anciens travaux littéraires sur le Chi-king (le Livre des vers), le Tchun-thsieou et les anciens historiens, et lui confia son commentaire sur Lao-tseu.

« À cette époque, ajoute-t-il, j’eus le bonheur de rentrer en grâce auprès de l’empereur et je revins à la capitale. Tseu-tchen se rendit à Pi-ling, y tomba malade et mourut. Dix années s’étaient écoulées depuis cet événement, et j’ignorais ce qu’était devenu mon travail sur Lao-tseu que j’avais laissé autrefois entre les mains de Tseu-tchen.

« La première année de la période Tching-ho (l’an 1111) je tombai par hasard sur les manuscrits de Tseu-tchen, que mon neveu Maï avait mis en ordre. Dans le nombre, je trouvai un manuscrit avec cette note : « Commentaire nouveau sur Lao-tseu qui me fut confié jadis par mon frère Sou-tseu-yeou. » Je ne pus le parcourir jusqu’au bout, le livre me tomba des mains, et je m’écriai en soupirant : « Si l’on eût eu ce commentaire à l’époque des guerres entre les royaumes (Tchen-koue), on n’aurait pas eu à déplorer les maux causés par Chang-yang et Han-feï ; si on l’eût eu au commencement de la dynastie des Han, Confucius et Lao-tseu n’auraient fait qu’un ; si on l’eût eu sous les Tsin et les Song (de 265 à 401), Bouddha et Lao-tseu n’auraient pas été en opposition. Je ne m’attendais pas à faire, dans mes vieux ans, cette rencontre extraordinaire. — Je demeurai dix ans à Ing-tchouen, et, pendant tout ce temps, je fis beaucoup de corrections et de changements à ces quatre ouvrages (ses commentaires sur le Chi-king, le Tch’un-thsieou, le Lao-tseu, et son travail sur les anciens historiens). » Je pensais que les paroles des Saints ne peuvent être comprises à la première lecture ; aussi, chaque fois que j’avais trouvé une idée nouvelle, je n’osais m’arrêter au premier sens. Aujourd’hui je serais heureux de pouvoir améliorer mon commentaire sur Lao-tseu, à l’aide des avis de Tseu-tchen, mais, hélas ! je ne pourrai plus le consulter. — Je n’eus pas la force de continuer et je fondis en larmes. »

Tchou-hi, le célèbre interprète des livres classiques, blâme sévèrement Sou-tseu-yeou d’avoir voulu faire accorder la doctrine des lettrés avec celle de Lao-tseu, et d’y avoir cousu (c’est l’expression du critique) la doctrine des bouddhistes. Ces rapprochements particuliers à Sou-tong-po lui paraissent complètement erronés. Il trouve aussi Sou-tong-po rempli d’orgueil et de présomption lorsqu’il dit que parmi les hommes de son temps il n’y en avait pas un seul avec qui il pût s’entretenir sur ces matières philosophiques. (Voy. Wen-hien-thong-khao, liv. CXI, fol. 1 verso.)


Édition H. — Tao-te-king-kiaï, en 2 livres. Cette édition a été publiée sous la dynastie des Ming (entre les années 1368 et 1647) par un religieux bouddhiste nommé Te-thsing. Elle est imprimée avec une rare élégance, en un volume petit in-fol. Le texte et le commentaire sont ponctués avec soin. Le style de la glose et du commentaire est clair et facile. L’auteur y montre une partialité bien naturelle pour la doctrine de Bouddha ; mais il est aisé de distinguer les principes qui lui sont particuliers et ceux qui sont d’accord avec le système général de Lao-Tseu.


Paris. 1er novembre 1841.
  1. Voy. l’édition de Sie-hoeï, liv. I, fol. 1. ». Tout ce que nous disons ici sur le titre de l’ouvrage est traduit ou extrait de cette édition, loc. cit.
  2. De même, le premier livre de la Genèse tire son titre du mot initial beréschith בראשית
  3. Cf. Lao-tseu-i. liv. III, fol. 10 recto.
  4. Voy. Lao-tsea-tsi-kiuï (édit. de Sie-hoeï), liv. II, fol. 56 verso. Les observations qui suivent sont traduites du chinois, loc. cit.
  5. Voy. Lao-tseu-i, liv. 111, fol. 10.
  6. Voy. l’Introduction, page 1, note 1, n° VI.
  7. Cf. Lao-tseu-i, liv. III, fol. 15.
  8. Lao-Tseu-i, liv. III, fol. 49, r. Voyez aussi la Notice historique, page xx. lig. 22.
  9. Lao-tseu-i, liv. III, fol. 13.
  10. Voy. Lao-tseu-i, liv. III, fol. 14.
  11. Voy. ma traduction de cet ouvrage, publiée en 1835 par l’Oriental Translation Committee. in-8o, préface, pag. xij.
  12. Lao-tseu-i, liv. III, fol. 23.
  13. C’est-à-dire dans les ouvrages des écrivains de l’école de Confucius.