Théorie de l’écoulement tourbillonnant et tumultueux des liquides dans les lits rectilignes à grande section/Tome 1/V

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§ v. — Expression du frottement extérieur et conditions relatives aux surfaces limites.


» 15. À la surface limite du fluide, les trois composantes, suivant les axes, de la pression moyenne locale de celui-ci sur sa couche superficielle, exprimées par les formules habituelles en fonction linéaire des égaleront les composantes contraires de l’action du milieu extérieur sur la même couche.

» Quand le milieur extérieur est une paroi fixe, l’ignorance où l’on est de la composante normale de sa pression se trouve suppléée par la connaissance de la composante analogue de vitesse, alors nulle. Mais on ne peut se dispenser d’avoir une formule de ses composantes tangentielles, c’est-à-dire du frottement extérieur opposé en direction au glissement sur la paroi, des couches fluides presque contiguës, plus intérieurs toutefois que la couche extrêmement mince immobilisée par adhésion à la paroi. Si l’on prend celle d’entre elles qui sont à une distance de la paroi à peine perceptible, et néanmoins suffisante pour que leur vitesse moyenne locale n’éprouve plus de l’une à l’autre le très rapide accroissement local dû à leur voisinage même de la couche immobilisée, la vitesse à très peu près la même sur une épaisseur sensible, y sera ce que les hydrauliciens appellent la vitesse à la paroi.

» C’est surtout d’elle et du degré de rugosité de la paroi, que dépendra dans les mouvements tumultueux le frottement extérieur par unité d’aire. En effet, à travers la mince couche fluide tapissant la paroi et immobilisée sur une épaisseur imperceptible, les rugosités subissent, par leur côté exposé au courant, l’impulsion vive ou le choc des particules intérieures qu’elles dévient, dont chacune les presse d’autant plus, suivant le sens de la vitesse moyenne locale qu’elles sont plus grosses et qu’elles est elle-même, à volume égal, plus massive ou d’un poids proportionnel plus fort, et, en outre, animée d’une vitesse plus grande, l’impulsion ou pression totale produite ainsi sur l’unité d’aire de la paroi étant, d’ailleurs, d’autant plus forte encore que les rugosités sont plus multipliées et qu’il y passe devant chacune plus de particules fluides par unité de temps, ou que la vitesse est plus grande.

» Le frottement dû à ces impulsions ou, encore, à l’aspiration corrélative (dite non-pression) qu’elles provoquent sur la face aval et protégée des aspérités, sera donc, d’une part, proportionnel aux deux facteurs constituant en quelque sorte, par leur produit, le degré de rugosité, savoir fréquence et ampleur des inégalités de la paroi ; d’autre part, proportionnel deux fois à la vitesse à la paroi et une fois au poids de l’unité de volume du fluide, en admettant, ce qui est l’hypothèse la plus naturelle et la plus simple, que chaque circonstance quantitative distincte dont l’annulation entraînerait celle de l’impulsion soit en raison directe de celle-ci[1].

» 16. Si donc désigne un coefficient très notablement croissant avec le degré de rugosité, l’on aura une formule comme pour exprimer la partie du frottement extérieur due à l’impulsion des particules contre la paroi et liée aux petites sinuosités de leurs trajectoires, c’est-à-dire, en définitive, à l’agitation du fluide. Or, dans les écoulements tumultueux où la vitesse à la paroi sera un peu grande, cette partie principale du frottement extérieur masquera complètement l’autre partie qui seule le constituerait dans des mouvements bien continus, c’est-à-dire celle que donnerait la composante, suivant le sens général de l’écoulement tout autour, du frottement de la couche immobilisée, sur le fluide intérieur, si celui-ci prenait des mouvements réguliers tout en conservant la même vitesse moyenne locale à la distance de la paroi où cette vitesse se produit effectivement. En effet, dans un tube capillaire où pareille vitesse s’observerait à pareille distance de la paroi, mais avec mouvements bien continus, le frottement extérieur ne serait certainement presque rien à côté de ce qu’il est dans le lit à grande section considéré ici.

» Nous aurons donc, pour l’expression approchée du frottement d’une paroi,

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» 17. À une surface libre, où le milieu extérieur sera une atmosphère très mobile et très peu dense, presque sans inertie, l’extrême facilité qu’aura le liquide sous-jacent à l’entraîner empêchera le frottement d’acquérir des valeurs sensibles ; et l’on aura ou dans la formule (14), encore applicable ainsi.

» L’action du liquide sur sa couche superficielle se réduira donc à sa composante normale, que l’on égalera à la pression donnée de l’atmosphère ; et, inversement à ce qui arrivait auprès d’une paroi fixe, la connaissance de cette pression suppléera à celle de la vitesse de déplacement de la surface, c’est-à-dire à la connaissance de la composante de la vitesse moyenne locale, suivant le sens normal.

» 18. D’ailleurs, l’expérience montre que la liberté même de la surface, ou le peu de résistance du gaz extérieur aux déplacements brusques, entraîne, surtout dans les couches liquides supérieures, des perturbations incessantes, cause d’extrêmes complications dans le mode de variation des vitesses.

» Toutefois, ces perturbations et complications paraissent n’altérer les vitesses moyennes locales que de quantités peu appréciables, et en quelque sorte de second ordre de petitesse. C’est ce qu’ont prouvé des observations comparatives très précises du débit, faites par M.  Bazin, dans des canaux et des tuyaux à sections rectangulaires de mêmes contours mouillés par unité d’aire et de même largeur, où il a été impossible de constater aucune influence, sur la vitesse moyenne, des perturbations signalées[2]. Mais, comme des variations locales du second ordre de petitesse, chez une fonction de point, suffisent pour y changer de quantités du premier ordre la situation d’un maximum ou minimum, ces perturbations déplacent d’une manière très sensible le filet le plus rapide. Elles l’abaissent au-dessous de la surface, et d’autant plus que la section est moins large comparativement à sa profondeur, comme si le voisinage de cette surface libre déterminait un léger accroissement de l’agitation et du coefficient sur le haut des parois latérales.

» Mais la suite prouvera que nous pourrons, sans grand inconvénient, négliger ces perturbations compliquées.


  1. Il ne faudrait cependant pas, en ce qui concerne la proportionnalité du frottement à la grosseur et à la fréquence des aspérités, que le nombre de celles-ci, surtout si elles sont à peu près de même hauteur et très aplaties ou arasées à leur sommet, se multipliât au point de réduire leurs intervalles creux à d’étroits sillons, d’une étendue relative insignifiante dans le sens du courant, et où ne pourraient pas pénétrer les particules affluentes animées de vitesse notables, ou à trajectoires dès lors tendues. Car de telles rugosités s’annihileraient presque, mutuellement, étant comme effacées par la courbe de fluide mort qui occuperait ou, mieux, comblerait leurs interstices. On peut voir, à ce sujet, dans les Recherches hydrauliques de M.  Bazin (p. 87), les séries d’expériences 12 à 17, où des aspérités transversales à sections rectangulaires, de 0m,01 de hauteur et 0m,017 de largeur (dans le sens de ou du courant), continues tout le long des contours mouillés qu’elles occupaient, laissaient entre elles des rainures parallèles, de 0m,01 de largeur (suivant les ) dans les séries 12, 13, 14, et de 0m,05 dans les séries 15, 16, 17. La résistance à l’écoulement atteignait, dans le second cas, le double environ de sa valeur dans le premier.
    Une Note du 36 montrera, d’ailleurs, que la pénétration des filets fluides entre les intervalles des aspérités paraît croître aussi, à égalité de vitesse quand la largeur et la profondeur du courant se réduisent au point de n’être plus comme infinies par rapport à la hauteur des rugosités de son lit ; et, par suite, le frottement devient alors plus grand.
  2. Recherches hydrauliques, etc. (au t. xix du Recueil des Savants étrangers) pp. 176 et 177.