Théorie de l’écoulement tourbillonnant et tumultueux des liquides dans les lits rectilignes à grande section/Tome 1/VI

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§ vi. — Formules du coefficient des frottements intérieurs dans un régime graduellement varié.


» 19. Il ne nous reste plus, pour avoir mis complètement le problème en équation, qu’à savoir comment variera le coefficient des frottements intérieurs. Et d’abord les écoulements étudiés se feront à température constant, ce qui dispensera d’y considérer la variable Quant à la densité qui n’y changera que très peu, ces légers changements le feront ils varier autant qu’ils modifient la pression élastique ou moyenne  ? Des expériences de du Buat, Darcy, etc., ont prouvé, comme on sait, qu’il n’en est rien et que les frottements provoqués par les mêmes mouvements relatifs de couches fluides voisines ne sont pas plus grands sous forte pression que sous une pression presque nulle. Et on le conçoit. Car, si le fluide donné se dilate, chacun de ses groupes moléculaires s’étale dans un plus grand espace, où les écarts absolus entre la contexture interne élastique et la contexture interne effective ont plus de champ pour se produire, donc aussi plus d’amplitude, à égales rapidités de déformation ; d’où suivent, entre molécules prises en même nombre, des frottements intérieurs plus forts. Mais, par contre, il y a, aux distances où les frottements se produisent, moins de molécules de part et d’autre d’un élément plan d’étendue donnée, et, par conséquent, un nombre moindre d’actions élémentaires à travers son unité de surface. L’on s’explique que ces deux causes contraires se compensent sensiblement, surtout dans les si étroites limites où varie la densité des liquides.

» Le degré d’agitation, voilà la vraie variable dont dépend. L’observation, même la plus superficielle, des grands écoulements, comparés à ceux qu’offrent les tubes capillaires et dont les lois ont été données par Poiseuille, montre que la valeur de ce coefficient pour des mouvements bien continus n’est presque rien par rapport à celles qu’il prend dès que l’agitation devient notable. Nous pourrons donc le supposer nul avec elle et proportionnel à chacune des circonstances quantitatives indispensables pour la produire, conformément au principe de bon sens déjà émis à propos du frottement extérieur, qui consiste à adopter dans chaque cas l’hypothèse la plus naturelle et la plus simple, sous la réserve du contrôle ultérieur de l’observation.

» 20. Cela admis, supposons le lit de notre courant fluide assez voisin de la forme cylindrique ou prismatique pour que les vitesses moyennes locales aient pu devenir, sur une grande longueur, presque parallèles à une même direction, suivant laquelle on prendra les positifs. Les vitesses latérales ou transversales seront donc, comparativement à la vitesse longitudinale des quantités du premier ordre de petitesse, ayant leurs carrés et produits négligeables ; et, comme toutes ces vitesses ne changeront dans un rapport sensible qu’au bout de temps assez longs ou sur de grands parcours, l’on pourra négliger aussi les accélérations et les dérivées en tandis que l’accélération longitudinale et la dérivée de en seront du premier ordre de petitesse.

» Un tel régime est dit graduellement varié. Nous y appellerons la section du fluide, sensiblement normale, faite parallèlement aux par le plan d’abscisse et le contour mouillé de cette section, c’est-à-dire la portion de son contour total occupée par les parois.

» 21. L’agitation se formant surtout près de celles-ci, voyons quels éléments essentiels concourent à faire naître celle qui se produit, en un point quelconque de sur un rectangle élémentaire de paroi. Et d’abord, une certaine vitesse moyenne locale à la paroi, que nous pourrons confondre avec sa composante y sera nécessaire ; car sans cette vitesse, sans quelque énergie translatoire, aux dépens de laquelle puisse s’engendrer la demi-force vive d’agitation, celle-ci ne naîtrait pas. En effet, des expériences de Darcv, Osborne Revnolds, M.  Couette, ont montré que les mouvements sont bien continus, même dans des tubes de plus d’un centimètre carré de section (mais polis), jusqu’à une limite supérieure de vitesse qui est inverse du diamètre.

» De plus, comme le prouve cette dernière loi, une certaine ampleur de la section, une certaine aire occupée par le fluide au devant ou en face de l’élément du contour, et par unité de sa longueur n’est pas moins indispensable ; car elle seule donne du jeu au ballottement du fluide, aux mouvements oscillatoires normaux à la paroi, qui provoquent et puis entretiennent l’agitation en écartant ou rapprochant de la paroi les particules affluentes dans le voisinage et en les faisant, dès lors, par leur engrènement avec les inégalités de celle-ci tour à tour diminué et accru, tournoyer en sens divers.

» 22. Il y a quatre cas simples où, par raison de symétrie, la vitesse à la paroi, que nous appellerons alors est la même sur tout le contour mouillé et où, de plus, l’aire de la section se répartit pareillement entre tous les éléments égaux de ce contour ou en face de chacun d’eux dans l’espace qu’interceptent les normales issues de ses extrémités ; de manière qu’il en corresponde à tous d’égales portions et que l’ampleur soit constante, égale par conséquent au rayon moyen Ce sont, d’une part, les deux cas, où l’influence des bords est négligeable, d’un canal rectangulaire très large, d’une profondeur donnée et d’un tuyau à section rectangulaire aussi très large, de hauteur double d’autre part, les cas d’un tuyau circulaire, de rayon et d’un canal demi-circulaire de largeur coulant à pleins bords.

» L’agitation créée à la paroi, ou plutôt son influence sur la valeur de y sera donc proportionnelle à et au rayon moyen ou


» 23. Les inégalités de la paroi, qui provoquent les ballottements et engrènement dont il vient d’être parlé, y interviendront aussi. Mais leur effet sur la masse fluide intérieure considérée ici ne sera pas localisé à une couche mince, comme il arrivait pour l’influence des mêmes inégalités sur le frottement extérieur, et il se trouvera d’autant plus amorti relativement, qu’il sera plus grand et se fera sentir plus loin à l’intérieur. Donc le degré de rugosité entrera comme facteur, dans avec un exposant notablement moindre que dans le coefficient de la formule (14). Autrement dit, devra être proportionnel à une puissance fractionnaire de et l’hypothèse la plus simple que nous puissions faire à cet égard, est de le supposer en raison directe de

» À partir des parois, l’agitation se propage à l’intérieur des sections, sur des plans parallèles au fond ou aux deux bases dans les canaux et tuyaux larges de hauteur ou et sur des cylindres ou demi-cylindres conaxiques de rayons décroissants dans le tuyau circulaire ou le canal demi-circulaire. Il est naturel de supposer que son degré se conserve sensiblement de couche en couche dans les deux premiers cas, où elle ne se concentre suivant le rapport inverse de celui de leurs aires. Enfin, l’on peut admettre à une première approximation que, dans un canal découvert, l’agitation partie du fond ou des bords se réfléchit, en arrivant à la surface libre, de manière à produire, au-dessous de celle-ci, sensiblement les mêmes effets qu’y produirait l’agitation partie de la moitié supérieure des parois, dans un tuyau plein, de même rayon moyen, dont la section comprendrait, outre la proposée sa symétrique par rapport au plan de la surface libre donnée.

» Si donc nous appelons un coefficient indépendant du degré de rugosité des parois, mais pouvant varier avec la nature du fluide, et où, pour simplifier plus loin certaines formules, nous avons mis en facteur le poids de l’unité de volume, sensiblement constant, les expressions approchées de dans les quatre cas simples dont il s’agit, seront

(15)


» 24. Dans les cas de la section circulaire et demi-circulaire, la loi simple d’accroissement de vers l’axe, exprimée par le dernier facteur ne peut plus s’appliquer aux petites distances de l’axe, où elle conduirait à supposer une agitation presque infinie, physiquement inadmissible. Mais elle n’y donne aucun frottement très grand par unité d’aire, vu que la vitesse relative du glissement moyen local des couches y décroît jusqu’à zéro, par raison de continuité et de symétrie. Aussi n’en résulte-t-il, dans le mode de distribution des vitesses, qu’une altération locale à peine perceptible. Il est toutefois désirable, en vue de l’approximation plus grande que rendent possibles les récentes observations, de corriger cette loi trop simple de la proportionnalité inverse de au rapport nous le ferons par la substitution, à ce rapport, d’une fonction un peu différente où la petite partie inconnue restera finie et distincte de zéro sur l’axe. Mais nous serons réduits à la déterminer par les données seules de l’expérience, dans la mesure très imparfaite que permettra leur précision (difficile cependant à surpasser). Nous remplacerons donc, à une deuxième approximation, la seconde formule (15) par celle-ci,

(16)


» 25. Passons au cas plus général de tuyaux ayant leur contour d’une même forme quelconque, définie par une relation donnée entre les rapports des coordonnées de leurs divers points au rayon moyen et comprenons-y d’ailleurs celui d’un canal découvert, en imaginant alors, comme il a été indiqué ci-dessus, un tuyau de section double où le contour mouillé, double également, se composerait du proposé et de son symétrique par rapport à la surface libre. Pour donner à ces cas toute la généralité possible, supposons même le degré de rugosité ou, par suite, le coefficient du frottement extérieur, variables avec la génératrice considérée de la paroi, c’est-à-dire en fonction arbitraire de et

» Ici, la vitesse à la paroi, encore réductible à sa composante ne sera plus constante le long du contour mouillé mais nous pourrons admettre avec quelque approximation qu’elle y varie d’une certaine manière ou, autrement dit, en appelant sa valeur en un endroit déterminé, par exemple au point le plus bas de qu’elle est partout ailleurs le produit de par une fonction toujours la même de L’ampleur au devant de chaque élément du contour, entre les deux normales menées à ses extrémités et prolongées jusqu’à la rencontre de la surface libre ou du plus grand diamètre (dans une section elliptique), n’égalera plus mais bien le produit de par une autre fonction de Il semble, au reste, difficile, en l’étal actuel de nos connaissances, et sauf dans les sections rectangulaire large et circulaire ou demi-circulaire, de définir cette ampleur aux divers points du contour mouillé vu l’incertitude portant sur les limites de l’aire qui doit constituer son numérateur . Le rayon moyen sera cependant comme sa valeur moyenne, puisqu’il exprimera le volume fluide existant, dans le courant, par unité de surface des parois, ou l’aire de section normale par unité de longueur du contour mouillé.

» Les trois facteurs distincts caractérisant l’agitation engendrée près du auront donc pour produit l’expression multipliée encore par une fonction analogue. Et comme enfin l’agitation, à partir des parois, se transmettra dans la masse en se concentrant ou se disséminant suivant les mêmes proportions aux points homologues des surfaces-limites, il est naturel qu’on puisse exprimer le rapport de sa valeur en chaque point de à ce qu’elle est au point du fond où et sont et par une certaine fonction positive de la forme la même pour toutes les sections dont il s’agit. Il viendra donc, comme généralisation des formules (15) et (16),

(17)

» Nous aurons plus loin à considérer le produit des deux fonctions, censées connues, prises aux divers points du contour mouillé En appelant ce produit positif, qui se réduit à l’unité dans les cas des formules (15) et (16), nous poserons ainsi

(18) (sur le contour mouillé )